Maya Angelou, la parole phénoménale – la palabra fenomenal

Maya-Angelo

« Il arrive fréquemment qu’on me demande comment je suis devenue qui je suis. Comment née noire dans un pays de Blancs, pauvre dans une société où la richesse est admirée et recherchée à tout prix, femme dans un environnement où seuls les grands navires et quelques locomotives sont désignés favorablement par l’emploi du pronom féminin, comment suis-je devenue Maya Angelou ? ».

Il est des mots, et même des noms, que l’on savoure bien avant d’avoir découvert ce qu’ils signifient.
C’est bien ce qui m’arrivait jusqu’à ce jour avec le nom de Maya Angelou, dont les belles sonorités m’interpelaient sans que je cherchasse à percer ce qui se cachait derrière elles.
Jusqu’à ce que je tombe sur l’un de ses poèmes, Still I rose, et ce fut l’éblouissement. Je n’eus de cesse alors de mieux connaître cette grande dame de la culture afro américaine.

« Est-ce le maintient ? L’austérité ? Maya Angelou a un côté Simone de Beauvoir. Et, elle aussi, écrit des récits autobiographiques où se déroule l’histoire du « deuxième sexe ». Elle est grande -1,82m- et elle a traversé le siècle. Le 4 avril, elle a fêté ses 80 ans. Fêté, oui, ce qui ne lui était pas arrivé depuis longtemps.
Maya Angelou habite une maison jaune, au milieu de grands chênes, à Winston-Salem, en Caroline du Nord. Avant d’écrire des best-sellers, elle a eu plusieurs vies. Elle a été chanteuse de calypso, danseuse étoile, mère à 17 ans. Elle a travaillé pour Martin Luther King à New York, suivi le militant radical sud-africain Vusumzi Make en Egypte et côtoyé Malcolm X au Ghana. (…)
Maya Angelou n’a pénétré le monde des Blancs qu’à l’adolescence, en Californie, quand sa mère l’a inscrite dans une école privée. « Comme j’étais bonne élève et que j’étais la première Noire que les professeurs côtoyaient, j’étais particulièrement bien vue. Cela m’inquiétait. C’était la première fois que j’étais avec des Blancs ». Un de ces professeurs était une femme exceptionnelle qui ne faisait pas de distinction entre les élèves et qui appelait tout le monde par son nom de famille. Grâce à elle, Maya n’a jamais vu le monde en noir et blanc. Plus tard, à Harlem, il lui est arrivé d’avoir envie de fuir quand elle entendait ses amis être obsédés par le comportement des Blancs. Pour elle, tous les Blancs n’avaient pas toujours tort tout le temps. (…)
En 1965, Maya Angelou venait de rentrer du Ghana pour travailler avec Malcolm X, lorsque le leader radical a été assassiné. Trois ans plus tard, Martin Luther King lui a demandé de faire une tournée dans le pays pour parler de son organisation, la Southern Christian Leadership Conference. Elle arepoussé à plus tard. Elle voulait fêter son anniversaire. Le 4 avril, le jour de ses 40 ans, Martin Luther King a été tué. Elle est restée prostrée. « Ma vie avait chaviré. James Baldwin m’a sauvée », dit-elle. C’est grâce à l’auteur d’Harlem qu’elle s’est mise à écrire. C’est lui qui a conseillé à l’éditeur Bob Loomis, de Random House, une tactique pour la convaincre d’essayer : « Il suffit de lui dire qu’elle n’en est pas capable ! »Un an après la mort de MartinLuther King, elle a publié son premier récit I know why the caged bird sings. Et elle a cessé de fêter son anniversaire pendant des années. (…)
Comme beaucoup de leaders noirs de l’époque héroïque, elle avait pris le parti d’Hillary Clinton pendant les primaires démocrates, (…) Elle s’est rangée du côté du vainqueur. « Nous sommes une démocratie. La majorité l’emporte ».
Une nouvelle ère s’ouvre pour les Américains, mais Maya Angelou préfère ne pas en parler. Elle s’interdit les commentaires sur le moment historique et Barak Obama. « Nous n’y sommes pas ! Nous n’y sommes pas encore ! » Mais elle reconnaît que le moment est … « intoxicating ». Elle cherche le mot en français, ce français appris à Paris, alors qu’elle dansait dans Porgy and Bess, et qui ne demande qu’à revenir. Voilà, elle a trouvé : C’est « enivrant ».
Le Monde, le 26 octobre 2008

En 2010, Barak Obama décerna à Maya Angelou la médaille présidentielle de la Liberté, la plus haute distinction civile des États-Unis.
L’écrivaine noire mourut en mai 2014.

Hommage à Maya Angelou

Je suis femme par les deux plateaux de mes mains
Comme deux générosités ouvertes
Je suis femme par la savane brûlée de mes yeux
Et par le bouclier de mon front derrière lequel
luttent mes pensées et mes rêves
Je suis femme par l’audace de mes lèvres où viennent pondre les baisers
Je suis femme par l’écho de mon prénom qui roule dans les vallées de la vie
Je suis femme par l’étreinte de mes bras autour du soleil
Je suis femme par le berceau de mon ventre
Je suis femme par la poulie de mes hanches
où remonte l’eau vive de mon désir de femme
Je suis femme par l’unique étoile où s’accrochent les nuits
Je suis femme comme la terre est ronde
Je suis femme par la flamme de mes jambes au bal des songes
Je suis femme sans maître
Sans laisse
Sans vigile
Celle qui ne tombe pas
Celle dont les fruits repoussent sans cesse à force de mourir
Celle qui soulève les sphères de l’univers
Celle qui arrive avec les bourgeons du jour
Je suis femme pour rien et pour tout
Pour que le monde soit moins seul
Pour la vie
Et pour l’équilibre du monde
Ernest Pépin, 2011

Still I rise

You may write me down in history
With your bitter, twisted lies.
You may tread me in the very dirt
But still, like dust, I’ll rise
Does my sassiness upset you?
Why are you beset with gloom?
‘Cause I walk like I’ve got oil wells
Pumping in my living room

Just like moons and like suns,
With the certainty of tides,
Just like hopes springing high.
Still I’ll rise

Did you want to see me broken?
Bowed head and lowered eyes?
Shoulders falling down like teardrops.
Weakened by my soulful cries.
Does my haughtiness offend you?
Don’t you take it awful hard
‘Cause I laugh like I’ve got gold mines
Diggin’ in my own backyard
You may shoot me with your words,
You may cut me with yours eyes,
You may kill me with your hate fullness.
But still, like air, I’ll rise

Does my sexiness upset you?
Does it comes as a surprise
That I dance like I’ve got diamonds
At the meeting of my thighs?
Out of the huts of history’s shame
I rise
Up from the past that’s rooted in pain
I rise
I’m a black ocean, leaping and wide
Welling and swelling I bear in the tide.
Leaving behind nights of terror and fear
I rise
Into a daybreak that’s wondrously clear
I rise
Bringing the gifts that my ancestors gave
I am the dream and the hope of the slave
I rise
I rise
I rise

Je me soulève encore

Vous pouvez me rabaisse dans l’histoire
Avec vos mensonges tordus et amers
Vous pouvez me traîner dans la boue
Mais, comme la poussière, je me soulèverai encore
Mon insolence vous dérange ?
Pourquoi vous assombrir ?
Parce que je marche comme si j’avais un puits de pétrole
Pompant dans mon salon
Tout comme des lunes, tout comme des soleils
Avec la certitude des marées
Tout comme des espoirs jaillissants
Je me soulèverai encore

Vous voulez me voir brisée ?
La tête et les yeux baissés ?
Les épaules tombantes comme des larmes.
Affaiblie par me pleurs émus
Mon assurance vous offense ?
Vous ne prenez pas affreusement mal
De me voir rire comme si j’avais des mines d’or
En creusant dans mon jardin ?
Vous pouvez me fusiller de vos paroles
Vous pouvez me couper avec vos yeux.
Vous pouvez me tuer de toute votre haine.
Mais, comme l’air, je me soulèverai encore.

Ma sensualité vous met en colère ?
Cela vous surprend
Que je danse comme si j’avais des diamants
À la jointure de mes cuisses ?
En dehors des huttes honteuses de l’histoire
Je me soulève
Hors d’un passé enraciné dans la douleur
Je me soulève
Je suis un océan noir bondissant et large
Jaillissant et gonflant je tiens dans la marée
Laissant derrière moi des nuits de terreur et de crainte
Je me soulève
Dans une aube merveilleusement claire
Je me soulève
Emportant les présents offerts par les ancêtres
Je suis le rêve et l’espoir de l’esclave
Je me soulève
Je me soulève
Je me soulève

Phenomenal woman

Pretty women wonder where my secret lies,
I’m not cute or built to suit a fashion model’s size
But when I start to tell them,
They think I’m telling lies.
I say,
It’s the reach of my arms
The spam of my hips,
The stride of my step,
The curl of my lips.
I’m a woman
Phenomenally
Phenomenal woman,
That’s me

I walk into a room
Just as cool as you please,
Ant to a man,
The fellow stand or
fall down on their knees.
Then they swarm around me,
A hive of honey bees,
I say,
It’s the fire of my eyes,
And the flash of my teeth,
The swing of my waist,
And the joy in my feet,
I’m a woman
Phenomenally
Phenomenal woman
That’s me

Men themselves have wondered
What they see in me
They try so much
But they can’t touch
My inner mystery
When I try to show them
They say they still can’t see
I say,
It’s in the arch of my back,
The sun of my smile,
The ride of my breasts
The grace of my style
I’m a woman
Phenomenally
Phenomenal woman
It’s me

Now you understand
Just why my head’s not bowed
I don’t shout or jump about
Or have to talk real loud.
When you see me passing
It ought to make you proud
I say,
It’s in the click of my heels,
The bend of my hair,
The palm of my hand,
The need of my care,
‘Cause I’m a woman
Phenomenally
Phenomenal woman
That’s me.

Femme phénoménale

Les jolies femmes se demandent quel est mon secret
Je ne suis pas mignonne et je n’ai pas la taille mannequin,
Mais quand je commence à leur dire,
Elles pensent que je mens
Je dis,
C’est dans la portée de mes bras,
La largeur de mes hanches,
La foulé de mon pas,
La courbe de mes lèvres.
Je suis une femme,
Phénoménalement.
Une femme phénoménale,
C’est moi.

J’entre dans une pièce,
L’air tout à fait détaché
Et comme un seul homme
Tous les gars se lèvent
Tombent à genoux
Puis tournent autour de moi
Comme des mouches à miel.
Je dis,
C’est la flamme de mes yeux,
Et l’éclat de mes dents,
Le balancement de ma taille
Et la joie de mes pieds
Je suis une femme
Phénoménalement
Une femme phénoménale,
C’est moi.

Les hommes eux-mêmes se demandent
Ce qu’ils voient en moi
Ils essaient tant et tant
Mais ils ne peuvent toucher
Mon mystère intérieur
Quand je tente de leur montrer
Ils disent ne rien voir.
Je dis,
C’est dans la cambrure de mon dos,
Le soleil de mon sourire,
Le tour de mes seins,
La grâce de mon style
Je suis une femme
Phénoménalement
Une femme phénoménale,
C’est moi.

Maintenant vous comprenez
Pourquoi je ne baisse pas la tête
Je ne crie pas je ne saute pas
Ou ai besoin de parler fort
Quand vous me voyez passer,
Vous devez en être fières.
Je dis,
C’est dans le claquement de mes talons,
Le pli de mes cheveux,
La paume de ma main,
Le besoin de mes soins.
Parce que je suis une femme
Phénoménalement.
Une femme phénoménale,
C’est moi.

Africa

Thus she had lain
Sugarcane sweet
deserts her hair
golden her feet
mountains her breasts
two Niles her tears

Thus se has lain
Black through the years
over the white seas
rime white and cold
brigands ungentle
icicle bold
took her young daughters
sold her strong sons
churched her with Jesus
bled her with guns.

Thus she has lain
Now she is rising
remember her pain
remember the losses
her scream loud and vain
remember her richness
her history slain
now she is striding
although she has lain

C’est ainsi qu’elle s’était allongée
Douce canne à sucre
des déserts ses cheveux
de l’or ses pieds
des montagnes ses seins
deux Nils ses larmes

C’est ainsi qu’elle s’est allongée
Noire durant des années
par-dessus les mers blanches
du gel blanc et froid
des brigands impassibles
téméraires et froids
ont pris ses filles jeunes
vendu ses fils robustes
l’ont convertie à Jésus
l’ont saignée avec leurs armes

C’est ainsi qu’elle s’est allongée
Maintenant, elle se lève
souvenez-vous de ses peines
souvenez-vous de ses pertes
ses cris forts et vains
souvenez-vous de ses richesses
de son histoire poignardée
maintenant elle avance
bien qu’elle soit allongée

Nous prîmes place devant nos sièges, selon les instructions reçues, sur un signe du chef des chœurs, nous nous assîmes. Nous n’avions pas touché nos chaises que l’orchestre enchaîna sur l’hymne national. Nous nous relevâmes pour le chanter, puis nous récitâmes le serment d’allégeance. Nous restâmes debout un instant avent que le chef des chœurs et le proviseur nous fissent signe, plutôt désespérément, pensais-je, de nous rasseoir. L’ordre était si inattendu que notre mécanique bien huilée s’enraya. Durant une bonne minute, nous cherchâmes nos sièges à tâtons en nous cognant les uns contre les autres. Sous la pression des événements, les habitudes changent ou se consolident et, dans notre état de nervosité, nous nous étions apprêtés à suivre la routine coutumière de nos rassemblements : l’hymne national américain, le serment d’allégeance et puis le chant que chaque Noir que je connaissais appelait l’Hymne national noir. Tout cela exécuté sur le même ton, avec la même passion et, le plus souvent, debout sur le même pied.
Trouvant enfin mon siège, j’eus le pressentiment que bien pire allait suivre. Quelque chose, qui m’avait été ni répété ni prévu, allait se passer et nous allions perdre la face. Je me souviens clairement d’avoir été explicite dans le choix du pronom. C’était « nous », la promotion, notre unité pour qui je m’inquiétai alors.
Le proviseur souhaita la bienvenue aux « parents et amis » et demanda au pasteur baptiste de nous faire prier. Celui-ci prononça une oraison brève et directe et, un instant, je crus que tout repartait sur la bonne voie et dans la bonne direction. Cependant, quand le proviseur revint sous le dais, sa voix avait changé. Les sons m’ont toujours profondément affectée et la voix du proviseur était une de mes préférées. Je n’avais pas eu vraiment l’intention d’écouter ses propos, mais ma curiosité fut piquée et je me redressais pour prêter l’oreille. Il parlait de Booker T. Washington, notre grand leader défunt, qui disait que « nous pouvions être aussi unis que les doigts de la main… ». Puis, il ajouta quelques vagues commentaires sur l’amitié et en particulier l’amitié des gens qui montraient de bienveillance à l’égard des moins favorisés. Sur quoi sa voix s’évapora quasiment, se fit menue, lointaine, une rivière devenue ruisseau, puis filet d’eau. Mais il s’éclaira la gorge et dit :
-Notre orateur, ce soir, qui est aussi notre ami, est venu de Texarcana pour prononcer l’allocution de notre cérémonie. (…)
Domleavy ne jeta qu’un seul regard sur l’auditoire (à la réflexion, je suis persuadée qu’il voulut simplement s’assurer que nous étions bien là), ajusta ses lunettes et se mit à lire une liasse de notes.
Il était « heureux d’être présent et de voir le travail continuer tout comme dans les autres écoles ». Au premier « Amen » lâché par l’assistance, je condamnai le coupable auteur à mourir sur-le-champ, étranglé par le mot. Ce qui n’empêcha pas les « Amen » et les « Mais oui » de commencer à se déverser dans la salle comme la pluie à travers un para pluie troué.
M. Domleavy nous parla des merveilleux changements qui nous étaient réservés, à nous, les enfants de Stamps. Central School (il s’agissait bien entendu de l’école blanche) jouirait dès l’automne d’un certain nombre d’améliorations qu’on venait de lui accorder. Un artiste très connu viendrait de Little Rock y enseigner le dessin et la peinture. Elle recevrait des microscopes et un équipement des plus modernes pour ses laboratoires de chimie.(…)
Mais nous non plus ne serions pas oubliés dans le plan de bonification générale qu’il avait en tête.
Il avait, dit-il, fait remarquer à des gens haut placés que l’un des premiers avants de football du collège d’agriculture et de mécanique de l’Arkansas sortait de cette bonne vieille école préparatoire du comté de Lafayette. Ici, on entendit moins d’ « Amen ». Les rares qui percèrent restèrent suspendus en l’air, maussades, chargés du poids de l’habitude.
M.Domleavy poursuivit notre éloge. Il le poursuivit en racontant comment il s’était vanté qu’ « un des meilleurs joueurs de basket de Fisk avait marqué son premier panier ici même, à l’école préparatoire du comté de Lafayette ».
Les jeunes Blancs se verraient offrir l’occasion de devenir des Galilée, des Mme Curie, des Edison ou des Gauguin. Et nos garçons (les filles n’étaient même pas dans le coup) essaieraient d’être des Jesse Owens et des Joe Louis.
Owens et le « Bombardier noir » figuraient certes parmi les grands héros de notre univers, mais quel éducateur, dans le blanc royaume de Little Rock, pouvait s’arroger le droit de décider que seuls ces deux hommes dussent être nos modèles ? Qui décidait que, pour devenir un savant, Henry Reed devrait, comme George Washington Carver, cirer des chaussures afin de pouvoir s’acheter un minable microscope ? Baily resterait manifestement trop petit pour faire un athlète et donc quel abruti en béton, vissé à sa chaise de fonctionnaire local, avait résolu que, si mon frère choisissait d’être avocat, il lui faudrait d’abord faire pénitence pour la couleur de sa peau en ramassant du coton ou en binant du maïs, et en étudiant par correspondance le soir durant vingt ans d’affilé ? (…)
La remise des diplômes –le temps secrètement magique des robes à volants, des cadeaux, des félicitations et des récompenses- fut terminée pour moi avant l’appel de mon nom. Tout ce qui avait été accompli l’avait été pour rien. Dessiner méticuleusement des cartes en trois couleurs d’encre, lire et épeler des mots de dix syllabes, apprendre par cœur Le Viol de Lucrèce de Shakespeare en entier -, tout cela ne servait à rien. Domleavy nous avait démasqués. (…)
Mon nom avait perdu sa résonance familière et on dut me pousser pour que j’aille recevoir mon diplôme. Tous mes préparatifs s’étaient anéantis. Je n’avançais pas vers l’estrade comme une amazone conquérante, pas plus que je ne cherchai, parmi les spectateurs, Bailey et son signe de têe approbateur. Marguerite Johnson. J’entendis de nouveau le nom, on lut la liste de mes prix, des murmures flatteurs s’élevèrent dans l’assistance, et je pris ma place sur l’estrade, comme prévu. Je songeai aux couleurs que je haïssais : écru, puce, lavande, beige et noir. Un certain remue-ménage se produisit autour de moi, puis Henry Reed fit son discours. « Être ou ne pas être ». N’avait-il donc pas entendu les Blancs ? Puisque nous ne pouvions pas être, la question ne se posait pas. La vois d’Henry s’éleva, claire et ferme. Je redoutais de le regarder. N’avait-il pas compris le message ? Il n’existait rien chez les Nègres, de « plus noble pour l’esprit » parce que le monde ne pensait pas que nous avions un esprit et nous le faisait savoir. « Un sort outrageux ». Ça pour le coup, c’était une plaisanterie.
Je sais pourquoi chante l’oiseau en cage, Les allusifs, 2008

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La première décennie du XXe siècle n’était pas une bonne période pour naître noire, pauvre et fille à Saint-Louis, dans le Missouri, mais Vivian Baxter est née noire et pauvre de parents noirs et pauvres. Puis elle grandira et on dira d’elle qu’elle était belle. À l’âge adulte, on la connaîtra comme la dame à la peau couleur beurre et aux cheveux gonflés peignés en arrière.
Son père, un Trinidadien au fort accent des Caraïbes, avait sauté d’un bateau transportant des bananes à Tampa, en Floride, et a réussi toute sa vie à échapper aux agents du service d’immigration. Il parlait souvent, haut et fort, de sa fierté d’être un citoyen américain. Personne ne lui a expliqué que le simple fait de vouloir être un citoyen ne suffisait pas pour qu’il en soit un.
Faisant contraste avec le teint chocolat de son père, sa mère avait la peau pâle pour passer pour une Blanche. On l’appelait une octavonne, ce qui signifie qu’elle avait un huitième de sang noir. Ses cheveux étaient longs et raides. À la table de la cuisine, elle faisait rire ses enfants en faisant tourner ses tresses comme des cordes, puis en s’asseyant dessus.
Bien que la mère de Vivian fût issue d’une famille irlandaise, elle avait été élevée par des parents adoptifs allemands et parlait avec un net accent germanique.
Vivian était l’aînée des enfants Baxter, suivie de sa sœur Leah, puis de ses frères Tootie, Cladwell, Tommy et Billy.
Au cours de leur enfance, leur père fit de la violence une partie de leur héritage. Il disait souvent :
-Si vous vous retrouvez en prison pour vol ou cambriolage, je vous laisserai croupir là. Mais si on vous arrête parce que vous vous êtes battus, je vendrai votre mère pour payer votre caution.
La famille fut surnommée les Bad Baxters. Si quelqu’un mettait l’un d’eux en colère, ils traquaient l’offenseur jusqu’à sa rue ou à son saloon. Les frères –armés- entraient dans le bar et se postaient à la porte, à chaque extrémité du bar et près des toilettes. Oncle Cladwell saisissait une chaise en bois et la cassait, puis tendait un morceau de la chaise à Vivian en disant :
-Vivian, va botter le cul de ce salaud.
-Lequel ? demandait Vivian.
Elle se servait ensuite de l’arme de bois pour frapper l’offenseur.
Quand ses frères disaient « C’est assez », les Baxter repartaient avec leur brutalité, laissant leur mauvaise réputation flotter dans l’air. À la maison, ils racontaient leurs histoires de bagarres souvent avec délectation.
Grand-mère Baxter jouait du piano à l’église baptiste et elle aimait entendre ses enfants chanter du gospel. Elle remplissait une glacière de bières Budweiser et empilait de boîtes de crème glacée dans le réfrigérateur.
Dans la cuisine, les mêmes hommes violents, dirigés par leur féroce grande sœur, chantaient en harmonie des chants religieux comme Jesus keep me near the cross.
There’s a precious fountain
Free to all, a healing stream,
Flows from Calvary’s mountain.
Les Baxter étaient fiers de leur talent pour le chant. Oncle Tommy et oncle Tootie avaient des voix de basse ; oncle Cladwell, oncle Ira et oncle Billy étaient des ténors ; Vivian avait une voix de contralto ; et tante Leah chantait avec une voix de soprano (selon la famille, elle avait aussi un joli trémolo).
Des années plus tard, je les entendrais souvent, après que mon père, Bailey Johnson Senior, nous eut amenés à Saint-Louis, mon frère -surnommé Junior-, et moi, pour vivre avec les Baxter.
Ils étaient fiers de chanter juste et fort. Souvent, des voisins venaient se joindre à eux, chacun essayant de chanter plus fort que les autres. (…)
Ma mère, qui allait toujours demeurer d’une beauté saisissante, rencontra mon père, un beau soldat, en 1924. Bailey Johnson était revenu de la Première Guerre mondiale avec un grade d’officier et un faux accent français. Vivian et lui furent incapables de se retenir. Ils tombèrent amoureux pendant que les frères tournaient autour de lui d’une manière menaçante. Il avait été à la guerre, et il venait du Sud, où un Noir apprenait très tôt qu’il devait faire face à des menaces, sinon il n’était pas un homme. (…)
Vivian et Bailey laissèrent derrière eux le climat conflictuel qui régnait chez les Baxter et déménagèrent en Californie, où le petit Bailey est né. Je suivis deux ans plus tard. Mes parents se rendirent rapidement compte qu’ils ne pouvaient pas vivre ensemble. Ils étaient comme des allumettes et de l’essence. Ils se disputaient même sur la façon dont ils allaient se séparer. Ni l’un ni l’autre ne voulaient la responsabilité de s’occuper de deux jeunes enfants. Après leur rupture, ils nous envoyèrent, Bailey et moi, chez la mère de mon père en Arkansas. (…)
Exception faite d’une horrible visite à Saint-Louis, nous vécûmes à Stamps avec la mère de mon père, grand-mère Annie Henderson, et son autre fils, oncle Willie, jusqu’à ce que j’aie treize ans. La visite à Saint-Louis fut de courte durée, mais je fus violée pendant mon séjour là-bas et le violeur fut tué. Je pensais avoir causé sa mort parce que j’avais révélé son nom à la famille.
Me sentant coupable, je cessais de parler, sauf à Bailey. J’en était venue à la conclusion que ma voix était si puissante qu’elle pouvait tuer des gens, mais qu’elle ne pourrait pas faire de mal à mon frère parce que nous nous aimions si fort. (…)
Lorsque le train atteignit la Californie, j’avais trop peur pour accepter l’idée que j’allais enfin rencontrer ma mère.
Ma grand-mère prit mes mains dans les siennes.
-Y a pas de quoi avoir peur, Sister. Elle est ta mère, c’est tout. On n’arrive pas à l’improviste. Quand elle a reçu ma lettre expliquant que Junior commençait à devenir un homme, elle nous a invités à venir en Californie.
Grand-mère me berça dans ses bras en chantonnant, et je me calmai.
Quand nous descendîmes du train, je cherchai une femme qui pourrait être ma mère. Lorsque j’entendis la voix de ma grand-mère appelant quelqu’un, je me tournai dans la direction de la voix. J’étais certaine qu’elle avait fait une erreur, mais la jolie petite femme aux lèvres rouges et aux talons hauts se précipita vers ma grand-mère.
-Maman Annie ! Maman Annie !
Grand-mère ouvrit les bras et enlaça la femme. Quand elle baissa les bras, la femme demanda :
-Où est mon bébé ?
Elle regarda autour d’elle et me vit. J’aurais voulu disparaître sous terre. Je n’étais pas jolie ni même mignonne. Cette femme qui ressemblait à une vedette de cinéma méritait une fille plus belle que moi. Je le savais et j’étais certaine qu’elle s’en rendrait compte dès qu’elle me verrait.
-Maya, Marguerite, mon bébé !
Soudain, je me retrouvais enveloppée dans ses bras et son parfum. Puis elle m’éloigna d’elle et me regarda.
-Oh, mon bébé, tu es belle et si grande. Tu ressembles à ton papa et à moi. Je suis si heureuse de le voir.
Elle m’embrassa. Durant toutes les années passées en Arkansas, jamais on ne m’avait embrassée.
Souvent, ma grand-mère m’appelait pour me montrer à ses visiteurs en disant : « Voici ma petite-fille ». Elle me caressait les bras et souriait.
Mais jamais je n’avais reçu de baiser.
Maintenant, Vivian Baxter embrassait mes joues, mes lèvres, mes mains. Comme je ne savais pas quoi faire, je ne fis rien. (…)
Ma mère m’observa sans dire grand-chose durant environ deux semaines. Puis elle me fit asseoir pour que nous ayons une petite conversation –un rituel qui me deviendrait familier.
-Maya, me dit-elle, tu désapprouves ma façon de vivre parce que je ne suis pas comme ta grand-mère. C’est vrai, je ne le suis pas. Mais je suis ta mère et je bosse dur pour payer ce toit au-dessus de ta tête. Quand tu vas à l’école, ton enseignante te sourit et tu lui souris en retour. Des élèves que tu ne connais même pas te sourient et tu souris aussi. Moi, je suis ta mère. Si tu peux faire apparaître un sourire sur ton visage pour des inconnus, fais-le pour moi. Je l’apprécierai, je te le promets.
Elle posa sa main sur ma joue et sourit.
-Allez mon bébé, souris pour maman. Allez, sois charitable.
Elle fit une grimace et, malgré moi, je souris. Elle m’embrassa sur les lèvres et se mit à pleurer.
-C’est la première fois que je te vois sourire. Tu as un beau sourire. Ma belle fille peut sourire.
Je n’étais pas habituée à me faire qualifier de belle.
Ce jour-là, j’ai appris qu’on pouvait être généreux simplement en faisant sourire quelqu’un.
Lady B (Mom & I & Mom), Paris, 2014, Buchet-Castel

« The ole ark’s a-moverin’, a-moverin’, a-moverin’,
the ole ark’s a-moverin along”.
Les États-Unis de 1957 étaient à l’image de l’arche ballottée par les flots de cet ancien spiritual. Comme elle, en effet, nous allions à gauche, à droite, en avant, en arrière, souvent en décrivant des cercles concentriques.
Nos contradictions formaient un véritable labyrinthe. Les Américains, blancs et noirs, exécutaient des pas de danse parallèles, complexes et souvent dangereux. À force d’avancées, de retournements et de marches arrière, nous fûmes les architectes de notre propre confusion. Le pays acclama Althea Gibson, joueuse de tennis grande et élancée qui fut la première Noire à remporter le simple dames aux championnats des États-Unis. Le président Dwight Eisenhower fit appel aux parachutistes des États-Unis pour protéger les élèves noirs de Little Rock, en Arkansas, et le sénateur de la Caroline du Sud, Strom Thurmond prononça un discours de vingt-quatre heures et dix-huit minutes afin d’empêcher le Congrès d’adopter le projet de loi sur le droit de vote proposé par la Commission des droits civiques.
En quelques mois seulement, Sugar Ray Robinson, chouchou de l’Amérique, perdit son titre de champion des poids moyens, le récupéra, le perdit de nouveau. Cette année-là, Sur la route, roman de Jack Kerouac, dont le titre était un reflet fidèle de la psychologie nationale, connut un grand succès de librairie. Nous étions en mouvement, certes, mais nul ne connaissait notre destination ni notre date d’arrivée.
J’étais de retour en Californie après une tournée européenne d’une année comme première danseuse de l’opéra Porgy and Bess. Pendant des mois, j’avais chanté dans des boîtes de nuit de la côte ouest et d’Hawaï et mis un peu d’argent de côté. Nous nous joignîmes alors, mon jeune fils Guy et moi, à la brigade des beatniks. Au grand désarroi de ma mère et au grand plaisir de Guy, nous traversâmes le Golden Gate Bridge pour nous établir dans une commune de péniches, où j’évoluais pieds nus et en jean, sans me donner la peine de repasser nos vêtements. Si Guy fréquentait un barbier de San Francisco, mes cheveux à moi, que j’avais cessé de défriser, ressemblaient désormais à une ample haie mal entretenue : de loin, je faisais penser à un haut arbre brun dont les branches auraient été coupées. Au sein de notre groupe, mes camarades –un ichtyologiste, un musicien, une épouse et un inventeur- étaient blancs. S’ils avaient été politisés (ce qui n’était pas le cas), ils se seraient situés quelque part entre l’extrême gauche et la frange révolutionnaire.
Bizarrement, notre petite communauté était à l’abri des tensions raciales, et mon fils vivait au contact de Blancs aux yeux de qui il n’était ni exotique (en cas d’incartade, ils ne se gênaient pas pour le remettre à sa place) ni banal (ils ne faisaient jamais comme s’il n’existait pas).
Pendant notre séjour à Sausalito, ma mère tâcha tant bien que mal de refouler son instinct maternel. À l’occasion de ses visites mensuelles –arborant des fourrures, des diamants et des talons aiguille qui se prenaient sans cesse entre les planches branlantes de la péniche-, elle se forçait à sourire et à tenir sa langue. Dans ses yeux, toutefois, on lisait les craintes qu’elle nourrissait pour « son bébé » et le bébé de cette dernière. Elle laissait des liasses de billets sous mon oreiller ou me refilait un chèque en m’embrassant pour me dire au revoir. Elle aurait pu se rassurer en se rappelant le proverbe biblique : Le fruit ne tombe pas loin de l’arbre. En effet, moins d’une année plus tard, j’avais envie d’un espace à moi, d’une moquette épaisse et d’ongles impeccablement manucurés. Guy devenait turbulent, s’ensauvageait à la façon d’un jeune animal. Il prenait si peu de bains que je craignais presque pour sa santé. Et comme mes amis le traitaient comme un jeune adulte, il oubliait la place qui lui revenait dans notre relation mère-fils.
Il était temps de passer à autre chose. Je pouvais revenir à la chanson et gagner assez d’argent pour subvenir à mes besoins et à ceux de Guy.
Je devais me fier à la vie : j’étais encore assez jeune pour croire qu’elle chouchoute ceux qui ont le courage de vivre pleinement.
Je fis nos bagages, dis au revoir et pris la route.
Laurel Canyon, à dix minutes de la pharmacie Schwab’s et à quinze de Sunset Strip, était le secteur résidentiel officiel de Hollywood.
Le quartier se distinguait surtout par sa sensualité. Des maisons au toit rouge, de style mauresque, se nichaient élégamment parmi les argousiers. L’air humide embaumait l’eucalyptus. Les fleurs coloraient les lieux d’une débauche de cramoisi, de cornaline, de rose, de fuchsia et d’or de toutes les teintes. Sur des branches dont les couleurs allaient du vert foncé sinistre au jaune saumâtre, les geais, les engoulevents, les hirondelles et les merles bleus pépiaient, sifflaient.
Les rares Noirs qui vivaient dans Laurel Canyon, notamment Billy Eckstein, Billy Daniels et Herb Jeffries, étaient riches et célèbres. En outre, ils avaient la peau assez claire et passaient, disons, pour des Portugais. Moi, en revanche, j’étais une chanteuse de cabaret peu connue, réputée posséder plus de détermination que de talent, mais j’aspirais par-dessus tout à vivre dans un milieu glamour. Les récits d’amateurs découverts dans les snacks tenaient à mes yeux de la fiction. Pourtant, je jugeais important d’être au bon endroit au bon moment. Et en 1958, aucun lieu ne m’attirait autant que Laurel Canyon.
Je répondis à une petite annonce. La maison, m’informa le propriétaire, avait été louée le matin même. Je demandai alors à Atara et Joe Morheim, Blancs sympathiques à ma cause, de répéter la même démarche. Affaire conclue. Le jour de mon déménagement, les Morheim, mon ami et professeur de chant Frederick « Wilkie » Wilkerson, Guy et moi fîmes notre apparition sur les marches d’un modeste bungalow de deux chambres à coucher, au loyer scandaleusement élevé.
Le proprio serra la main de Joe et lui souhaita la bienvenue. Puis il jeta un coup d’œil par-dessus l’épaule de mon ami et me reconnut. Sous l’effet du choc et de la répulsion, il eut un mouvement de recul. Il retira aussitôt sa main.
-Espèce de salaud ! Je vois clair dans votre jeu. Vous méritez que je vous traîne en justice.
La réaction de Joe, toujours désinvolte au point de passer pour insouciant, me surprit.
-Me traîner devant les tribunaux, moi ? Saleté de fasciste ! C’est plutôt madame qui devrait vous poursuivre ! Je me ferai un plaisir de témoigner en sa faveur. Maintenant, poussez-vous. Nous avons du travail.
L’homme nous contourna. Sa colère remplissait l’air parfumé.
-J’aurais dû m’en douter, fit-il. Sale juif. Espèce de fumier.
Nous rîmes nerveusement et transportâmes mes meubles dans la maison.
Quelques semaines plus tard, j’avais repeint en blanc pimpant les murs de la petite maison et inscrit Guy à l’école du coin. Je n’avais reçu que quelques coups de fil de menace.
J’avais aussi fait l’acquisition d’une splendide vieille voiture. L’auto, une Chrysler vert océan vieille de dix ans, avait un tableau de bord façon parquet et des portières en bois qui se fendillaient. Rien à voir avec le chrome éclatant des Cadillac et de Buick que se payaient mes voisins, mais le véhicule possédait une élégance surannée. Le toit baissé, je me faisais l’effet d’une artiste excentrique, et non d’une pauvre femme noire qui vivait au-dessus de ses moyens, en dehors de son milieu naturel, loin des siens.

Billie Holiday

Un matin de juin, Wilkie entra chez moi.
-Ça te dirait de rencontrer Billie Holiday ? demanda-t-il.
-Évidemment. Tu connais beaucoup de gens qui refuseraient une proposition pareille ? Elle chante en ville ?
-Non. Elle est de passage après un séjour à Honolulu. Je m’en vais de ce pas la chercher à son hôtel. Je l’emmène ici, si tu veux. Tu te sens à la hauteur ?
-À la hauteur ? Pas de problème. C’est une femme. Moi aussi.
Des gloussements roulèrent dans la poitrine de Wilkie avant de jaillir de sa bouche.
-Hé ! Tu ne doutes de rien, toi. Tu vas peut-être plaire à Billie. Dans ce cas, tant mieux pour toi. Sinon, gare à tes fesses.
-À moins que ce ne soit le contraire. Qui te dit qu’elle me plaira, elle ?
Wilkie rit de nouveau.
-Insolente, va. Tu as du gin ?
Dans une armoire, une bouteille solitaire accumulait la poussière depuis des mois.
Wilkie se leva.
-File-moi tes clés, dit-il. Je suis sûr que Billie prendra plaisir à rouler en décapotable.
Je ne m’énervai qu’après son départ. Lady Day était sur le point de débarquer chez moi, révélation qui me heurta en plein visage. Je me mis à trembler. Il était notoire qu’elle consommait des drogues dures ; quant à moi, je m’octroyais à peine un peu de mari, de loin en loin, . Comment lui interdire de se piquer ou de sniffer chez moi ? On racontait aussi qu’elle avait des penchants lesbiens. Comment repousser ses avances, à supposer qu’elle m’en fasse, sans lui donner l’impression de la rejeter, elle ? Dans le monde du show-business, ses sautes d’humeur étaient légendaires, et je ne voulais surtout pas lui donner de motifs de péter les plombs. Je passai l’aspirateur, vidai les cendriers et époussetai, tout en sachant que ce n’était pas une maison impeccable qui séduirait Billie Holiday.
Je l’entrevus d’abord par la porte moustiquaire, et ma nervosité se mua aussitôt en stupéfaction. Son visage bouffi ne gardait presque rien de sa beauté de naguère. Elle avait les yeux d’un noir éteint. Lorsque Wilkie fit les présentations, la main de Billie Holiday resta un moment dans la mienne, pareille à un jouet en caoutchouc.
-Ça va, maya ? dit-elle. C’est joli chez toi.
Elle n’avait même pas jeté un coup d’œil autour d’elle. Je reconnus toutefois la voix traînante, mince et geignarde qui, certains soirs de solitude, m’avait tenu compagnie.
J’apportai du gin et j’écoutai Wilkie et Billie se remémorer le bon vieux temps et leurs amis communs de Washington DC. Les noms qu’ils évoquaient et les escapades qui les faisaient glousser ne voulaient rien dire pour moi, mais j’étais fascinée par leur conversation et par la complexité de la langue de Billie. La fréquentation des clochards, des arnaqueurs, des joueurs et des escrocs à la petite semaine m’avait exposé aux gros mots. Et pour avoir passé des années dans les loges de boîtes de nuit, des cabarets et des bastringues en tous genres, je croyais connaître tous les blasphèmes. Je n’avais encore rien entendu. La langue de Billie Holiday était un mélange de railleries et de vulgarité qui me prit complètement par surprise. Elle employait des mots coutants, mais les arrangeait de façon inédite, en prenant un ton désinvolte et grinçant qui semblait mettre une éternité à franchir vos oreilles. Lorsqu’elle se tourna enfin vers moi pour m’inclure dans leur dialogue, je me rendis compte que je n’avais rien à dire qui pût l’intéresser.
-Alors, il paraît que t’es chanteuse ? Tu chantes du jazz, toi aussi ? T’es bonne, au moins ?
-Non, pas vraiment. Je n’ai pas le timbre qu’il faut.
-Tu veux être une grande chanteuse ? Tu veux rivaliser avec moi ?
-Non, je ne cherche à dépasser personne. Je suis juste une amuseuse qui essaie gagner sa vie.
-Une amuseuse ? Qu’est-ce que ça veut dire ? Tu fais voir tes lolos ? Tu remues tes fesses ?
-Non, surtout pas. Je ne ferais jamais une chose parelle. Jamais de la vie.
-Faut jamais dire jamais, tu sais.
Wilkie se porta à ma défense au moment où je m’interrogeais sur le moyen de me débarrasser de cette bonne femme hostile.
-Ne la juge pas avant de l’avoir entendu, Billie. Elle chante du folk, du calypso et du blues. Tu me connais. Si je te dis qu’elle a du talent, c’est qu’elle en a. Elle chante bien et elle a la gentillesse de nous recevoir chez elle. Alors lâche-la un peu, tu veux ? Sinon, t’as qu’à traîner ton sale cul jusqu’en bas de la colline. Tu sais que je n’entends pas à rire avec les bonnes manières.
Elle éclata de rire.
Tant que je serai noire

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Les brises de la nuit ouest-africaine, intimes et timides, léchaient les cheveux, transperçaient les robes de coton avec une familiarité inconvenante, puis s’évanouissaient dans l’obscurité absolue. La lumière du jour se montrait elle aussi insistante, en beaucoup plus effronté et inconsidéré. Elle éblouissait, embrouillait la vue. Elle s’immisçait sous mes paupières closes, me tirait d’un lit qui ne m’appartenait pas et me lançait dans les rues toutes nouvelles.
Après avoir passé près de deux années au Caire, j’étais venue à Accra avec mon fils Guy, qui allait commencer ses études à l’Université du Ghana. Je comptais passer deux semaines dans cette ville chez l’ami d’un collègue, aider Guy à s’installer dans la résidence étudiante et me rendre au Libéria, où un poste m’attendait au ministère de l’Information.
Guy avait dix-sept ans et beaucoup de débrouillardise, j’avais trente-trois ans et beaucoup de détermination. Nous étions des Noirs américains en Afrique de l’Ouest, où, pour la première fois de notre vie, la couleur de notre peau était considérée comme normale et naturelle.
Guy, qui avait terminé ses études secondaires en Égypte, parlait bien l’arabe et jouissait d’une excellente santé. Il apprenait rapidement une langue ghanéenne, jurait-il, et se tirerait très bien d’affaire tout seul. Au Caire, j’avais réussi comme journaliste et échoué lamentablement comme épouse, et la fin de mon mariage avait été marquée par un semblant de dignité en public et par un océan de larmes secrètes. Les pleurs derrière moi, désormais, je volais vers une nouvelle aventure. L’avenir recelait toutes les promesses.
Pendant deux jours, nous avions ri, Guy et moi. Nous contemplions les rues ghanéennes et riions. Nous écoutions les langues mélodieuses et riions. Nous nous regardions et riions aux éclats.
Le troisième jour, Guy parti en excursion, fut blessé dans un accident de voiture. Il se fractura un bras et une jambe et se cassa le cou.
Les mois de juillet et d’août 1962 s’étirèrent, tels de gros hommes qui baillent après un festin. Ils avaient tout lieu de jubiler, ceux-là, car ils m’avaient mangée tout entière. Avalée tout rond. Ils m’avaient vidée de mes forces vives, non pas avec précipitation, mais lentement, avec la patience obscène de ceux qui sont sûrs de leur victoire. Je devins une ombre dans les rues chauffées à blanc, un spectre sombre à l’hôpital. Je ne tirais aucun réconfort du fait que les médecins et les infirmières qui rôdaient autour de Guy étaient noirs, ni de la compagnie des Noirs américains expatriés qui, mis au courant de notre malheur, venaient meubler les longues heures d’attente. Les allégeances raciales et les affinités culturelles ne voulaient plus rien dire.
Un billet d’avions pour l’Afrique, Le livre de Poche, 2012

Maya-Angelou1

Ocurre a menudo que me pregunten cómo llegué a ser quien soy. Cómo nacida negra en un país de blancos, pobre en una sociedad en la que la riqueza es admirada y buscada a toda costa, mujer en un entorno en el que sólo los grandes barcos y algunas locomotoras se nombras favorablemente con un pronombre femenino, como llegué a ser Maya Angelou?”.

Hay palabras, y aún nombres, que uno saborea mucho antes de haber descubierto lo que significan.
Es lo que me ocurría hasta este día con el nombre de Maya Angelou, cuyas bellas sonoridades me interpelaban sin que yo buscara descubrir que se escondía detrás de ellas.
Hasta que me topé con uno de sus poemas, Still I rose, y fue el encandilamiento. No descansé entonces hasta conocer mejor a esta gran dama de la cultura afroamericana.

« ¿Acaso es el porte? ¿La austeridad? Maya Angelou tiene un lado Simone de Beauvoir. t, ella también, escribe relatos autobiográficos donde se desarrolla la historia del « segundo sexo ». Es alta -1,82m- y atravesó el siglo. El 4 de abril festejó sus 80 años. Festejó, sí, lo que no le había ocurrido desde hacía mucho tiempo.
Maya Angelou vive en una casa amarilla, en medio de grandes robles, en Winston-Salem, en Carolina del Norte. Antes de escribir best-seller, tuvo varias vidas. Fue cantante de calypso, bailarina estrella, madre a los 17 años. Trabajó para Martin Luther King, siguió al militante radical sudafricano Vusumzi Make a Egipto y se codeó con Malcolm X en Ghana. (…)
Maya Angelou sólo penetró el mundo de los blancos en la adolescencia, en California, cuando su madre la inscribió en una escuela privada. « Como era buena alumna y que era la primera negre que veían los profesores, estaba particularmente bien considerada. Esto me inquietaba. Era la primera vez que estaba con blancos». Una de las profesoras er auna mujer excepcional que no hacía distinciones entre los alumnos y que llamaba a todo el mundo por su apellido. Gracias a ella, Maya nunca vio el mundo en blanco y negro. Más tarde, en Harlem, le ocurrió tener ganas de huir cuando oía a sus amigos obsesionados por el comportamiento de los blancos. Para ella, todos los blancos no estaban siempre equivocados todo el tiempo. (…)
En 1965, Maya Angelou acababa de volver de Ghana para trabajar con Malcolm X, cuando el líder radical fue asesinado. Tres años más tarde, Martin Luther King le pidió hacer una gira por el país para hablar de su organización, la Southern Christian Leadership Conference. Lo dejó para más tarde. Quería festejar su cumpleaños. El 4 de abril, el día de sus 40 años, Martin Luther King fue asesinado. Quedó postrada. “Mi vida había zozobrado. James Baldwin me salvó”, dice. Se puso a escribir gracias al autor de Harlem. Fue él quien le aconsejó al editor Bob Loomis, de Random House, una táctica para convencerla de probar : «Basta con decirle que no es capaz ! » Un año después de la muerte de MartinLuther King, publicó su primer relato I know why the caged bird sings. Y dejó de festejar su cumpleaños durante años. (…)
Como muchos líderes negros de la época heroica, había tomado partido por Hillary Clinton durante las primarias demócratas. (…) Se plegó del lado del vencedor. « Somos una democracia. La mayoría gana ».
Una nueva era se abre para los norteamericanos, pero Maya Angelou prefiere no hablar de ello. “¡No estamos en eso. Todavía no estamos en eso!” Pero reconoce que el momento es … « intoxicating ». Busca la palabra en francés, ese francés aprendido en París cuando bailaba en Porgy and Bess, y que sólo pide volver. Ya está, lo encontró : Es « enivrant ».
Le Monde, 26 octubre de 2008

En 2010, Barak Obama otorgó a Maya Angelou la medalla presidencial de la Libertad, la más alta distinción civil de los Estados Unidos.
Le escritora negra murió en mayo de 2014.

Homenaje a Maya Angelou

Soy mujer por las dos mesetas de mis manos
como dos generosidades abiertas
Soy mujer por la sabana ardiente de mis ojos
Y por el escudo de mi frente detrás del que
luchan mis pensamientos y mis sueños
Soy mujer por la audacia de mis labios donde vienen a empollar los besos
Soy mujer por el eco de mi nombre que rueda por los valles de la vida
Soy mujer por el abrazo de mis brazos alrededor del sol
Soy mujer por la cuna de mi vientre
Soy mujer por la polea de mis caderas
donde sube el agua viva de mi deseo de mujer
Soy mujer por la única estrella de la que se enganchan las noches
Soy mujer como la tierra es redonda
Soy mujer por la llama de mis piernas en el baile de los sueños
Soy mujer sin amo
Sin correa
Sin vigilante
Aquella que no cae
Aquella cuyos frutos renacen sin cesar a fuerza de morir
Aquella que levanta las esferas del universo
Aquella que llega con los brotes del día
Soy mujer por nada y por todo
Para que el mundo esté menos solo
Por la vida
Y por el equilibrio del mundo
Ernest Pépin, 2011

Aún me levanto

Pueden rebajarme en la historia
Con sus mentiras torcidas y amargas,
Pueden arrastrarme en el fango
Pero, como el polvo, aún me levantaré
¿Mi descaro les molesta?
¿Por qué apesadumbrarse?
Porque camino como si tuviera un pozo de petróleo
Bombeando en mi living
Como lunas, como soles
Con la certeza de las mareas
Como esperanzas que surgen
Aún me levantaré

¿Quieren verme quebrada?
¿Con la cabeza gacha y los ojos bajos?
Los hombros caídos como lágrimas.
Debilitada por mi llanto desconsolado
¿Mi seguridad los ofende?
No tomen tan a pecho
Verme reír como si tuviera minas de oro
Cavando en mi jardín
Pueden dispararme con sus palabras
Pueden cortarme con sus ojos.
Pueden matarme con todo su odio.
Pero, como el aire, aún me levantaré.

¿Mi sensualidad los irrita?
¿Les sorprende
Que baile como si tuviera diamantes
En la unión de mis muslos?
Fuera de las chozas vergonzosas de la historia
Me levanto
Fuera de un pasado arraigado en el dolor
Me levanto
Soy un océano inquieto y amplio
Surgiendo y creciendo quepo en la marea
Dejando detrás de mí noches de terror y miedo
Me levanto
En un alba maravillosamente clara
Me levanto
Llevando los regalos dados por los antepasados
Soy el sueño y la esperanza del esclavo
Me levanto
Me levanto
Me levanto

Mujer fenomenal

Las mujeres hermosas se preguntan cuál es mi secreto,
No soy bonita ni tengo talle de modelo
Pero cuando empiezo a decírselo,
Piensan que miento.
Digo,
Está en el alcance de mis brazos
El ancho de mis caderas,
La cadencia de mi paso,
La curva de mis labios.
Soy una mujer
Fenomenalmente
Mujer fenomenal,
Esa soy yo

Entro en una habitación
Calma como te gusta,
Y al hombre,
Los tipos se ponen de pie
se caen de rodillas .
Luego revolotean a mi alrededor,
Una colmena de abejas melíferas.
Digo,
Es el fuego de mis ojos,
Y el brillo de mis dientes,
El movimiento de mis caderas,
Y la alegría de mis pies,
Soy una mujer
Fenomenalmente
Mujer fenomenal
Esa soy yo

Aún los hombres se preguntan
Qué ven en mí
Se esfuerzan mucho
Pero no pueden tocar
Mi misterio interior
Cuando intent mostrarles
Dicen que aún no ven
Digo,
Está en la curva de mi espalda,
El sol de mi sonrisa,
El porte de mis pechos
La gracia de mi estilo
Soy una mujer
Fenomenalmente
Mujer fenomenal
Esa soy yo

Ahora entienden
Porque mi cabeza no se inclina
No grito ni ando a los saltos
O hablo realmente fuerte.
Cuando me vean pasar
Deberían sentirse orgullosas
Digo,
Está en mi taconeo,
La onda de mi cabello,
La palma de mi mano,
La necesidad de mi cuidado,
‘porque soy una mujer
fenomenalmente
mujer fenomenal
esa soy yo.

Africa

Así se había acostado
Dulce caña de azúcar
sus cabellos desiertos
oro sus pies
montañas sus senos
dos Nilos sus lágrimas

Así se acostó
Negra durante años
encima de mares blancos
de helada blanca y fría
pillos impasible
temerarios y fríos
tomaron sus jóvenes hijas
vendieron sus fuertes hijos
la convirtieron a Jesús
la desangraron con sus armas

Así se acostó
Ahora, se levanta
recuerden sus penas
recuerden sus pérdidas
sus gritos fuertes y vanos
recuerden sus riquezas
su historia apuñalada
ahora avanza
aunque esté acostada

Nos ubicamos delante de nuestros asientos, según las instrucciones recibidas, a una señal del director de los coros, nos sentamos. No habíamos tocado nuestras sillas y la orquesta comenzó el himno nacional. Nos levantamos para cantarlo, luego recitamos el juramento de fidelidad. Nos quedamos de pie un instante antes de que el director de los coros y el director nos hicieran la señal, más bien desesperadamente, pensé, de volver a sentarnos. La orden era tan inesperada que nuestra mecánica bien aceitada se descompuso. Durante un buen minuto, buscamos nuestros asientos a gatas golpeándonos unos con otros. Bajo la presión de los acontecimientos, las costumbres cambian o se consolidan y, en nuestro estado de nerviosismo, nos habíamos preparado para seguir la rutina habitual de nuestros encuentros: el himno nacional norteamericano, el juramento de fidelidad y luego el canto que cada negro que yo conocía llamaba el Himno nacional negro. Todo esto ejecutado en el mismo tono, con la misma pasión, y, lo más a menudo, parados sobre el mismo pie.
Habiendo encontrado por fin mi asiento, tuve el presentimiento de que iba a seguir mucho peor. Algo, que no había sido ni ensayado ni previsto, iba a ocurrir e íbamos a pasar vergüenza. Recuerdo haber sido explícita en la elección del pronombre. Era “nosotros”, la promoción, nuestra unidad por la que me preocupaba entonces.
El director deseó la bienvenida a « padres y amigos » y pidió al pastor bautista que nos hiciera rezar. Este pronunció una oración breve y directa y, por un instante, creí que todo se encaminaba bien en la buena dirección. Sin embargo, cuando el director volvió bajo el dosel, su voz había cambiado. Los sonidos me afectaron siempre profundamente y la voz del director era una de mis preferidas. No había tenido realmente la intención de escuchar sus palabras, pero mi curiosidad se despertó y me erguí para prestar oído. Hablaba de Booker T. Washington, nuestro gran líder difunto, que decía que “podíamos ser tan unidos como los dedos de una mano…”. Luego agregó algunos comentarios sobre la amistad y en particular la amistad de gente que mostraba afabilidad hacia los menos favorecidos. Luego de lo que su voz casi se evaporó, se hizo menuda, lejana, un río vuelto un arroyo, luego hilo de agua. Pero se aclaró la garganta y dijo :
-Nuestro orador, esta noche, que también es nuestro amigo, vino de Texarcana para pronunciar la alocución de nuestra ceremonia. (…)
Domleavy echó una sola mirada hacia el auditorio (pensándolo bien, estoy convencida de que quiso simplemente asegurarse de que estábamos allí), ajustó sus lentes y se puso a leer un fajo de notas.
Estaba « feliz de estar presente y de ver continuar el trabajo como en las otras escuelas ». Con el primer “Amen” largado por la asistencia, condené al autor a morir de inmediato, ahogado por la palabra. Lo que no impidió que los « Amen » y los « Sí » cayeran sobre la sala como la lluvia a través de un paraguas agujereado.
El sr. Domleavy nos habló de los maravillosos cambios que nos eran reservados, a nosotros, niños de Stamps. Central School (se trataba por supuesto de la escuela blanca) gozaría desde el otoño con un cierto número de mejoras que acababan de acordarle. Un artista muy conocido vendría de Little Rock para enseñar dibujo y pintura. Recibiría microscopios y un equipo de los más modernos para sus laboratorios de química. (…)
Pero no nos olvidarían en lo que respecta al plan de mejora general que tenía en mente.
Había, dijo, hecho notar a gente acomodada que uno de los primeros delanteros de fútbol del colegio de agricultura y mecánica de Arkansas provenía de la vieja escuela preparatoria del condado de Lafayette. Aquí se oyeron menos “Amen”. Los pocos que cayeron quedaron suspendidos en el aire, tristes, cargados con el peso de la costumbre.
El sr. Domleavy prosiguió nuestro elegio. Prosiguió contando como se había ufanado de que « uno de los mejores jugadores de basket de Fisk había embocado su primer canasto aquí mismo, en la escuela preparatoria del condado de Lafayette ».
Los jóvenes blancos se verían ofrecer la oportunidad de volverse los Galileo, las Mme Curie, los Edison o los Gauguin. Y nuestros muchachos (las chicas ni siquiera participaban) tratarían de ser los Jesse Owens o los Joe Louis.
Owens y el « Bombardero negro » figuraban por cierto entre los héroes de nuestro universo, pero ¿qué educador, en el reino blanco de Little Rock, podía abrogarse el derecho de decidir que sólo estos dos hombres pudiesen ser nuestros modelos? ¿Quién decidía que, para ser un sabio, Henry Reed debería, como George Washington Carver, lustrar zapatos para poder comprerse un miserable microscopio? Bailey sería manifiestamente demasiado bajo para ser una tleta y entonces, ¿que tonto de hormigón, atornillado a su silla de funcionario local, había resuelto que, si mi hermano elegía ser abogado, tendría primero que hacer penitencia por el color de su piel cosechando algodón o maíz, y estudiando por correspondencia de noche durante veinte años seguidos? (…)
La entrega de los diplomas –el momento secretamente mágico de los vestidos con volados, de los regalos, de las felicitaciones y de las recompensas- terminó para mí antes de que pronunciaran mi nombre. Todo lo hecho no servía para nada. Dibujar meticulosamente mapas con tres colores, leer y deletrear palabras de diez sílabas, aprender de memoria La violación de Lucrecia de Shakespeare completa-, todo esto no servía para nada. Domleavy nos había desenmascarado. (…)
Mi nombre había perdido su resonancia familiar y debieron empujarme para que fuera a recibir mi diploma. Todos mis preparativos se habían aniquilado. No avanzaba hacia el estrado como una amazona conquistadora, ni busqué, entre los espectadores, a Bailey y su gesto de aprobación. Marguerite Johnson. Oí de nuevo el nombre, leyeron la lista de mis premios, murmullos halagüeños se elevaron entre la asistencia, y ocupé mi lugar en el estrado, como estaba previsto. Pensé en los colores que odiaba: crudo, pardo, lavanda, beige y negro. Un cierto movimiento se produjo a mi alrededor, luego Henry Reed dijo su discurso: « Ser o no ser ». ¿Acaso no había oído a los blancos? Ya que no podíamos ser, la cuestión no se planteaba. La voz de Henry se elevó, clara y firme. Temía mirarlo. ¿No había entendido el mensaje? No existía nada entre los negros “de más noble para el espíritu”. “Una suerte ultrajante”. Eso en este caso, era una broma.
Yo se porque canta el pájaro enjaulado.

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La primera década del siglo XX no era un buen período para nacer negra, pobre y mujer en Saint-Louis, en Missouri, pero Vivian Baxter nació negra y pobre de padres negros y pobres. Luego crecerá y dirán de ella que era bella. Con la edad adulta, se la conocerá como la señora de piel color manteca y de cabellos batidos peinados para atrás.
Su padre, un trinidadense con fuerte tonada del Caribe, había saltado de un barco que transportaba bananas en Tampa, Florida, y logró toda su vida escapar de los agentes del servicio de inmigración. Hablaba a menudo, fuerte, de su orgullo de ser un ciudadano norteamericano. Nadie le explicó que el simple hecho de querer ser un ciudadano no bastaba para ser uno.
Contrastando con la tez chocolate de su padre, su madre tenía la piel tan pálida como para pasar por blanca. La llamaban una octavona, lo que significa que tenía un octavo de sangre negra. Sus cabellos eran largos y lacios. En la mesa de la cocina, hacía reir a sus hijos haciendo girar sus trenzas como sogas, y luego sentándose encima.
Aunque la madre de Vivian proviniera de una familia irlandesa, había sido criada por padres adoptivos alemanes y hablaba con una neta tonada germánica.
Vivian era la mayor de los niños Baxter, seguida por su hermana Leah, y luego sus hermanos Tootie, Cladwell, Tommy y Billy.
Durante su infancia, su padre hizo de la violencia parte de su herencia. Decía a menudo:
-Si se encuentran en la cárcel por robo, los dejaré podrirse allí. Pero si los detienen porque se pelearon, venderé a su madre para pagar la fianza.
La familia fue apodada los Bad Baxters. Si irritaba a uno de ellos, acechaban al ofensor hasta en la calle en que vivía o en su saloon. Los hermanos –armados- entraban en el bar y se ubicaban en la puerta, en cada extremo del bar y cerca de los baños. El tío Cladwell tomaba una silla de madera y la rompía, luego le tendía un pedazo de la silla a Vivian diciendo:
-Vivian, rompele el culo a este turro.
-¿Cual? preguntaba Vivian.
Usaba luego el arma de madera para golpear al ofensor.
Cuando sus hermanos decían « Ya basta », los Baxter se iban con su brutalidad, dejando su mala reputación flotando en el aire. En casa, contaban sus historias de peleas a menudo con deleite.
La abuela Baxter tocaba el piano en la iglesia bautista y le gustaba oir a sus hijos cantando gospel. Llenaba una heladera de cervezas Budweiser y apilaba cajas de crema helada en el refrigerador.
En la cocina, los mismo hombres violentos, dirigidos por su feroz hermana mayor, cantaban en armonía cantos religiosos como Jesus keep me near the cross.
There’s a precious fountain
Free to all, a healing stream,
Flows from Calvary’s mountain.
Los Baxter estaban orgullosos de su talento para el canto. El tío Tommy y el tío Tootie tenían voces de bajo ; el tío Cladwell, el tío Ira y el tío Billy eran tenores; Vivian tenía una voz de contralto; y tía Leah cantaba con una voz de soprano (según la familia, tenía un lindo trémolo).
Años más tarde los oiría a menudo, después de que mi padre, Bailey Johnson Senior, nos hubiera llevado a Saint-Louis, a mi hermano –apodado Junior- y a mí, a vivir con los Baxter.
Estaban orgullosos de cantar afinado y fuerte. A menudo, vecinos se unían a ellos, tratando cada uno de cantar más fuerte que los otros. (…)
Mi madre, que siempre iba a ser una belleza sorprendente, conoció a mi padre, un lindo soldado, en 1924. Bailey Johnson había vuelto de la Primera Guerra Mundial con un grado de oficial y una falsa tonada francesa. Vivian y él fueron incapaces de retenerse. Se enamoraron mientras que los hermanos giraban a su alrededor de una manera amenazante. Había estado en la guerra, y venía del Sur, donde un negro aprendía muy pronto que debía enfrentar amenazas, sino no era un hombre. (…)
Vivian y Bailey dejaron atrás el clima conflictivo que reinaba en lo de los Baxter y se mudaron a California, donde nació el pequeño Bailey. Llegué dos años más tarde. Mis padres se dieron rápidamente cuenta de que no podían vivir juntos. Eran como fásforos y nafta. Se peleaban aún sobre la manera como se iban a separar. Ni uno de los dos quería tener la responsabilidad de ocuparse de dos niños. Después de su ruptura, nos mandaron, a Bailey y a mí, a lo de la madre de mi padre en Arkansas. (…)
Exceptuando la horrible visita a Saint-Louis, vivimos en Stamps con la madre de mi padre, abuela Annie Henderson, y su otro hijo, tío Willie, hasta que tuve trece años. La visita a Saint-Louis fue de corta duración, pero fui violada durante mi estadía y el violador fue muerto. Pensé haber causado su muerte ya que había revelado su nombre a la familia.
Sintiéndome culpable, dejé de hablar, salvo a Bailey. Había llegado a la conclusión de que mi voz era tan poderosa que podía matar gente, pero que no podía hacerle daño a mi hermano porque nos queríamos mucho. (…)
Cuando el tren llegó a California, tenía demasiado miedo para aceptar la idea de que por fin me iba a reunir con mi madre.
Mi abuela tomó mis manos entre las suyas.
-No hay que tener miedo, Sister. Es tu madre, eso es todo. No llegamos de improviso. Cuando recibió mi carta explicándole que Junior comenzaba a ser un hombre, nos invitó a venir a California.
Abuela me acunaba en sus brazos canturreando, y me calmé.
Cuando bajamos del tren, busqué una mujer que podría ser mi madre. Cuando oí la voz de mi abuela llamando a alguien, me volví en dirección de la voz. Estaba segura de que había un error, pero la linda mujercita de labios rojos y zapatos altos se precipitó hacia mi abuela.
-¡Mamá Annie! ¡Mamá Annie!
Abuela abrió los brazos y enlazó a la mujer. Cuando bajó los brazos, la mujer preguntó:
-¿Dónde está mi bebé?
Miró a su alrededor y me vio. Hubiera querido desaparecer bajo tierra. No era linda, ni siquiera bonita. Esta mujer que parecía una estrella de cine merecía una hija más linda que yo. Lo sabía y estaba segura de que se daría cuenta apenas me viera.
-Maya, Marguerite, ¡mi bebé!
De pronto, me encontré envuelta por sus brazos y por su perfume. Luego me alejó y me miró.
-Oh, mi bebé, estás linda y tan alta. Te parecés a tu papá y a mí. Estoy feliz de verte.
Me besó. Durante todos los años pasados en Arkansas, nunca me habían besado.
Mi abuela me llamaba a menudo para mostrarme a sus visitas diciendo: « Esta es mi nieta ». Me acariciaba los brazos y sonreía.
Pero jamás me había dado un beso.
Ahora, Vivian Baxter besaba mis mejillas, mis labios, mis manos. Como no sabía qué hacer, no hice nada. (…)
Mi madre me observó sin decir gran cosa durante unas dos semanas. Luego me hizo sentar para que tuviéramos una pequeña conversación –un ritual que se me volvería familiar.
-Maya, me dijo, desaprobás mi manera de vivir porque no soy como tu abuela. Es verdad, no lo soy. Pero soy tu madre y laburo duro para pagar este techo arriba de tu cabeza. Cuando vas a la escuela, tu maestra te sonríe y le sonreís como respuesta. Alumnos que ni siquiera conocés te sonríen y sonreís también. Yo soy tu madre. Si podés hacer aparecer una sonrisa en tu rostra para desconocidos, hacelo por mí. Lo apreciaré, te lo prometo.
Puso su mano sobre mi mejilla y sonrió.
-Vamos bebé, sonreíle a tu mamá. Vamos, se caritativa.
Hizo una mueca y, a mi pesar, sonreí. Me besó sobre los labios y se puso a llorar.
-Es la primera vez que te veo sonreir. Tenés una linda sonrisa. Mi linda hija puede sonreir.
No estaba acostumbrada a que me calificaran de linda.
Aquel día aprendí que se puede ser generoso sólo haciendo sonreír a alguien.
Lady B (Mom & I & Mom).

« The ole ark’s a-moverin’, a-moverin’, a-moverin’,
the ole ark’s a-moverin along”.
Los Estados Unidos de 1957eran a la imagen del arca movida por las olas de este antiguo spiritual. Como ella, en efecto, íbamos a la izquierda, a la derecha, adelante, atrás, describiendo a menudo círculos concéntricos.
Nuestras contradicciones formaban un verdadero laberinto. Los norteamericanos, blancos y negros, ejecutaban pasos de danza paralelos, complejos y a menudo peligrosos. A fuerza de avanzar, de cambiar y de retroceder, fuimos los arquitectos de nuestra propia confusión. El país aclamó a Althea Gibson, jugadora de tenis alta y delgada que fue la primera negra en ganar el single damas en los campeonatos de Estados Unidos. El presidente Dwight Eisenhower llamó a los paracaidistas de los Estados Unidos para proteger a los alumnos negros de Little Rock, en Arkansas, y el senador de Carolina del Sur, Strom Thurmond pronunció un discurso de veinticuatro hora y diez y ocho minutos para impedir que el Congreso adoptara el proyecto de ley sobre el derecho al voto propuesto por la Comisión de los derechos cívicos.
En sólo algunos meses, Sugar Ray Robinson, mimado por Norteamérica, perdió su título de campeón de pesos medianos, lo recuperó, lo perdió de nuevo. Ese año, En la ruta, la novela de Jack Kerouac, cuyo título era un fiel reflejo de la psicología nacional, fue un gran éxito de librería. Estábamos en movimiento, es cierto, pero nadie conocía nuestro destino, ni la fecha de llegada.
Estaba de nuevo en California, después de una gira europea de un año como primera bailarina de la ópera Porgy and Bess. Durante meses, había cantado en cabarets de la costa oeste y de Hawái y ahorrado un poco de dinero. Nos unimos entonces, mi joven hijo Guy y yo, a la brigada de los beatniks. Para la gran desesperación de mi madre y el gran gusto de Guy, cruzamos el Golden Gate Bridge para instalarnos en una comuna de chalanas, donde andaba descalsa y de jean, sin tomarme el trabajo de planchar nuestra ropa. Si Guy frecuentaba un barbero de San Francisco, mis cabellos que había dejado de alaciar, se parecía entonces a un amplio cerco mal cuidado: de lejos, hacía pensar en un alto árbol moreno cuyas ramas hubieran sido cortadas. En el seno de nuestro grupo, mis camaradas –un ictiólogo, un músico, una esposa y un inventor- eran blancos. Si hubiesen sido politizados (lo que no era el caso), se habrían situado en algún lado entre la extrema izquierda y la franja revolucionaria.
Extrañamente, nuestra pequeña comunidad estaba protegida de las tensiones raciales, y mi hijo vivía en contacto con blancos para la mirada de quienes no era ni exótico (en caso de despropósito no se molestaban para ponerlo en su lugar) ni banal (nunca actuaban como si no existiera).
Durante nuestra estadía en Sausalito, mi madre trató lo mejor que pudo de esconder su instinto materno. Durante sus visitas mensuales –haciendo gala de pieles, diamantes y tacos aguja que se enganchaban siempre en las tablas despegadas de la chalana-, se esforzaba por sonreír y cuidar su lengua. En su mirada, sin embargo, se leían los temores que alimentaba por « su bebé » y por el bebé de esta última. Dejaba fajos de billetes bajo mi almohada o me pasaba un cheque al besarme para despedirse. Hubiera podido tranquilizarse recordando el proverbio bíblico: El fruto no cae lejos del árbol. En efecto, menos de un año más tarde, tenía ganas de un espacio para mí sola, de una alfombra gruesa y de uñas impecablemente pintadas. Guy se volvía turbulento, salvaje a la manera de un joven animal. Se bañaba tan poco que casi temía por su salud. Y como mis amigos lo trataban como a un joven adulto, se olvidaba del lugar que le correspondía en nuestra relación madre-hijo.
Era el momento de pasar a otra cosa. Podía volver a cantar y ganar bastante dinero para satisfacer mis necesidades y las de Guy.
Debía confiar en la vida: aún era joven para creer que mima a los que tienen el coraje de vivir plenamente.
Armé nuestro equipaje, me despedí y tomé la ruta.
Laurel Canyon, a diez minutos de la farmacia Schwab’s y a quince de Sunset Strip, era el sector residencial oficial de Hollywood.
El barrio se distinguía sobre todo por su sensualidad. Casas de techo rojo, de estilo moresco, anidaban elegantemente entre los espinos. El aire húmedo olía a eucalipto. Las flores coloreaban los lugares con un desenfreno de carmesí, de cornalina, de rosa, de fuxia y de oro en todos sus matices. Sobra las ramas cuyos colores iban del siniestro verde oscuro al amarillo salmuera, los arrendajos, los zumacos, las golondrinas y los mirlos azules píaban, silbaban.
Los pocos negros que vivían en Laurel Canyon, sobre todo Billy Eckstein, Billy Daniels y Herb Jeffries, eran ricos y célebres. Además, tenían la piel bastante clara y pasaban, digamos, por portugueses. Yo, por lo contrario, era una cantante de cabaret poco conocida, famosa por poseer más determinación que talento, pero aspiraba sobre todo a vivir en un medio glamour. Los relatos de aficionados descubiertos en los snacks parecían ficción ante mis ojos. Sin embargo, me parecía importante estar en el lugar adecuado en el momento adecuado. Y en 1958, nada me atraía tanto como Laurel Canyon.
Respondí un aviso. La casa, me informó el propietario, había sido alquilada esa mañana. Pedí entonces a Atara y Joe Morheim, blancos que simpatizaban con mi causa, de repetir el mismo trámite. Negocio hecho. El día de mi mudanza, los Morheim, mi amigo y profesor de canto Frederick « Wilkie » Wilkerson, Guy y yo aparecimos en la escalera de un modesto bungalow de dos dormitorios, de alquilerv escandalosamente elevado.
El propietario le dio la mano a Joe y le deseó la bienvenida. Luego echó un vistazo por arriba del hombro de mi amigo y me reconoció. Bajo el efecto del shock y de la repulsión, retrocedió. Retiró enseguida su mano.
-¡Pedazo de hijo de puta! Veo claro en su juego. Merece que lo lleve a la justicia.
La reacción de Joe, siempre desenvuelto al punto de parecer despreocupado, me sorprendió.
-¿Llevarme a mí a los tribunales? ¡Porquería de fascista! ¡La señora debería perseguirlo! Y será un placer para mí atestiguar en su favor. Ahora despeje. Tenemos trabajo.
El hombre pasó a nuestro lado. Su ira llenaba el aire perfumado.
-Tendría que haberlo sospechado, dijo. Judío sucio. Pedazo de bosta.
Nos reímos nerviosamente y transportamos mis muebles dentro de la casa.
Algunas semanas más tarde, había pintado de un blanco brillante las paredes de la casita e inscripto a Guy en la escuela del lugar. Sólo había recibido algunas llamadas amenazantes.
Había adquirido también un espléndido coche viejo. El auto, un Chrysler verde océano con diez años de antigüedad, tenía un tablero de a bordo tipo parquet y puertas de madera que se resquebrajaban. Nada que ver con los cromos resplandecientes de los Cadillac y Buick que compraban mis vecinos, pero el vehículo poseía una elegancia antigua. Con el techo bajo, yo creía ser una artista excéntrica, y no una pobre mujer negra que vivía por arriba de sus medios, fuera de su medio natural, lejos de los suyos.

billie-holiday

Una mañana de junio Wilkie entró en casa.
-¿Te gustaría conocer a Billie Holiday? Preguntó.
-Evidentemente. ¿Conocés a mucha gente que rechazaría semejante propuesta? ¿Canta en la ciuda?
-No. Está de paso después de una estadía en Honolulu. Ya me voy a buscarla a su hotel. Si querés, la traigo acá. ¿Te sentís capaz?
-¿Capaz? Ningún problema. Es una mujer. Yo también.
Risas contenidas nacieron en el pecho de Wilkie antes de salir de su boca.
-¡Eh! Nunca tenés dudas. Quizás le gustes a Billie. En ese caso mejor para vos. Sino cuidado con la paliza.
-A menos que ocurra lo contrario. ¿Quién te dice que me gustará?
Wilkie se rió de nuevo.
-Insolente.. ¿Tenés gin?
En un armario, una botella solitaria acumulaba polvo desde hacía meses.
Wilkie se levantó.
-Pasame tus llaves, dijo. Estoy seguro de que a Billie le gustará andar en descapotable.
Sólo me puse nerviosa después de su partida. Lady Day estaba por desembarcar en mi casa, revelación que me golpeó en pleno rostro. Me puse a t6emblar. Era notorio que consumía drogas duras, en cuanto a mí, me otorgaba un poco de mari, de vez en cuando. ¿Cómo impedirle pincharse o snifar en mi casa? Se decía también que tenía inclinaciones lesbianas. ¿Cómo frenar sus avances, suponiendo que lo hiciera, sin darle la impresión de que la rechazaba? En el mundo del show-business, sus cambios de humor eran legendarios, y no quería de ninguna manera darle motivos de irse al carajo. Pasé la aspiradora, vacié los ceniceros y pasé el plumero, sabiendo que lo que seduciría a Billie Holiday no era una casa impecable.
La vi primero a través de la puerta mosquitero, y mi nerviosismo se transformó enseguida en estupefacción. Su rostro abotagado no conservaba casi nada de su belleza de otrora. Sus ojos eran de un negro apagado. Cuando Wilkie hizo las presentaciones, la mano de Billie Holiday permaneció un momento en la mía, semejante a un juguete de goma.
-¿Cómo estás, Maya? Dijo. Bonita tu casa. .
No había echado ni una mirada a su alrededor. Reconocí sin embargo la voz cansina, delgada y quejosa que, durante ciertas noches de soledad, me había acompañado.
Traje gin y escuché a Wilkie y a Billie recordar los buenos viejos tiempos y a sus amigos comunes en Washington DC. Los nombre que evocaban y las aventuras que los hacían reír no eran nada para mí, pero estaba fascinada por su conversación y por la complejidad de la lengua de Billie. La frecuentación de los vagabundos, ladrones, jugadores y estafadores de pacotilla me había expuesto a las malas palabras. Y por haber pasado años en los camarines de boites, de cabarets y de bailongos de todo tipo, creía conocer todas las blasfemias. Todavía no había oído nada. La lengua de Billie Holiday era una mezcla de burla y de vulgaridad que me sorprendió completamente. Empleaba palabras corrientes, pero las arreglaba de una manera inédita, con un tono desenvuelto y chirriante que parecía poner una eternidad en franquear nuestros oídos. Cuando se volvió por fin hacia mí para incluirme en su diálogo, me di cuenta de que no tenía nada para decir que pudiera interesarle.
-Entonces, ¿parece que sos cantante? ¿Cantás jazz vos también? ¿Sos buena por lo menos?
-No, no realmente. Me falta el timbre de voz necesario.
-¿Querés ser una gran cantante? ¿Querés rivalizar conmigo?
-No, no trato de ganarle a nadie. Sólo soy una entretenedora que trata de ganarse la vida.
-¿Una entretenedora? ¿Qué significa eso? ¿Mostrás tus tetas? ¿Movés las nalgas?
-No, seguro que no. No haría una cosa semejante. Nunca en la vida.
-Nunca digas nunca, lo sabés.
Wilkie salió a defenderme en el momento en que me preguntaba como sacarme de encima esta mujer hostil.
-No la juzgues antes de haberla oído, Billie. Canta Folk, calypso y blues. Me conocés. Si te digo que tiene talento, es que lo tiene. Canta bien y tiene la gentileza de recibirte en su casa. Entonces dejala un poco, ¿querés? Si no vas a arrastrar tu culo sucio hasta debajo de la colina. Sabés que no bromeo con las buenas maneras.
Ella se rió a carcajadas
Mientras sea negra

Las brisas de la noche del oeste africano, íntimas y tímidas, lamían los cabellos, atravesaban los vestidos de algodón con una familiaridad inconveniente, luego se desvanecían en la oscuridad absoluta. La luz del día se mostraba también insistente, mucho más descarada y desconsiderada. Deslumbraba, turbaba la vista. Se metía bajo mis párpados cerrados, me sacaba de una cama que no me pertenecía y me lanzaba a las calle nuevas.
Después de haber pasado dos años en el Cairo, había llegado a Accra con mi hijo Guy, que ina a comenzar sus estudios en la Universidad de Ghana. Contaba pasar dos semanas en esta ciudad en casa de un amigo de un colega, ayudar a Guy a instalarse en la residencia estudiantil e ir a Liberia donde me esperaba un puesto en el ministerio de la Información.
Guy tenía diez y siete años y mucha desenvoltura, yo tenía terinta y tres añor y mucha determinación . Éramos negros norteamericanos en África del Oeste, donde, por vez primera en nuestra vida, el color de nuestra piel mera considerado como normal y natural.
Guy, que había terminado sus estudios secundarios en Egipto, hablaba bien el árabe y gozaba de una excelente salud. Aprendía rápidamente una lengua ghaneana, afirmaba, y se las arreglaría muy bien solo. En el Cairo, yo había tenido éxito como periodista y fracasado lamentablemente como esposa, y el final de mi matrimonio había estado marcado por un semblante de dignidad en público, y por un océano de lágrimas secretas. Con el llanto detrás de mí, de ahora en más, volaba hacia una nueva aventura. El porvenía contenía todas las promesas.
Durante dos día, Guy y yo habíamos reído. Contemplábamos las calles de Ghana y reíamos. Escuchábamos las lenguas melodiosas y reíamos. Nos mirábamos y reíamos a carcajadas.
El tercer día, Guy se fue de excursión, fue herido en un accidente automovilístico. Se fracturó un brazo y una pierna y se rompió el cuello.
Los meses de julio y de agosto 1962 se estiraron, como hombres gordos que bostezan después de un festín. Podían estar contentos ya que me habían comido entera. Tragado completamente. Me habían vacíado de mis fuerzas vivas, no precipitadamente, sino lentamente, con la paciencia obscena de aquellos que están seguros de su victoria. Me volví una sombra en las calles al rojo vivo, un espectro oscuro en el hospital. No encontraba ningún consuelo en el hecho de que los médicos y las enfermeras que andaban alrededor de Guy fueran negros, ni con la compañía de los negros norteamericanos expatriados que, conociendo nuestra desgracia, venían a llenar las largas horas de espera. Las fidelidades raciales y las afinidades culturales ya no querían decir nada.
Un pasaje de avión hacia África.

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