Felisberto Hernández

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Il y a bien longtemps, quelque trente-cinq ans, j’habitais encore Buenos Aires, je découvris un auteur uruguayen, Felisberto Hernández, grâce à l’un de ses livres, Nadie encendía las lámparas (Personne n’allumait les lampes) dont la poésie si particulière me fascina.
Durant mon séjour à Montevideo, je pus compléter ma collection de livres de cet auteur en achetant quatre de ses ouvrages à la librairie Feria del libro, sur l’avenue 18 de Julio.
Et me voici de nouveau plongé dans l’univers de Felisberto Hernández où l’étrange et le normal cohabitent en toute harmonie.
À l’exception de quelques nouvelles, dont l’exceptionnelle « Les Hortenses », les textes de l’auteur uruguayen sont le journal de bord d’un pauvre pianiste en tournée, un observateur périphérique d’un monde où la logique et le prévisible sont détournés, où les objets concrets ou abstraits sont aussi vivants que les humains.
Il faut préciser d’ailleurs que Felisberto Hernández, lui-même pianiste, était habitué à ce genre de tournées dans d’improbables salles de concert, aux nuits passés dans des hôtels minable… Il se peut que devant cette médiocrité, la fantaisie et l’imagination aient été ses seules bouées de sauvetage…
Je vais maintenant passer la parole à Julio Cortázar, qui écrivit dans sa préface à « La maison inondée et d’autres contes » :
« Je cours le risque de provoquer le sourire de maints critiques littéraires car je pense que l’œuvre de l’uruguayen Felisberto Hernández ne peut être comparée qu’à celle d’un autre créateur placé à l’extrémité opposée du monde latino-américain qu’il connut : José Lezama Lima.
Il faut comprendre que je parle de sous-jacences, de tangences, d’affinités difficilement descriptibles.
Comme le poète et narrateur cubain, Felisberto appartient à cette souche spirituelle que j’ai qualifiée un jour de présocratique, et pour laquelle les opérations mentales n’interviennent que comme articulation et fixation d’un autre type de contact avec la réalité.
Tout comme les éléales, Lezama et Felisberto se connectent avec les choses (car d’une certaine manière tout est chose pour eux, les mots ou les meubles ou les passions ou les pensées sont à la fois tangibles et ineffables, rêve et veille) depuis une intuition qui ne peut être installée dans le langage que grâce à l’image poétique, de la rencontre non fortuite de las machine à coudre et du parapluie sur la table de dissection. (…)
Alors, et non paradoxalement, même si certains peuvent le penser ainsi, chacun de ses récits possède la force terrible d’installer le lecteur dans l’Uruguay de son temps, et, dans mon cas, il me suffit de les relire pour me sentir de nouveau dans les rues de Montevideo, dans les cafés et les hôtels et les villes de l’intérieur où tout se fait comme à contrecœur, comme il devait offrir ces concerts de piano miteux.
Et des factures impayées et des costumes loués. Doit-on en demander plus à un narrateur capable d’allier le quotidien avec l’exceptionnel au point de montrer qu’ils peuvent être la même chose ? »

Et Felisberto Hernández, qu’en disait-il ?
« Ce qui est le plus sûr, c’est que je ne sais pas comment je fais mes contes, car chacun d’entre eux a sa propre et étrange vie. Mais je sais aussi qu’ils vivent en lutte avec la coscience pour éviter les étrangers qu’elle leur recommande ».

L’elfe de Montevideo

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Felisberto Hernández, concertiste raté, n’a laissé à la littérature que quelques souvenirs. Pourtant, Cortazar et Calvino le tenaient pour l’un des plus grands du siècle, et Supervielle fut son mentor. Ils ne se sont pas trompés sur l’Uruguayen.

Pour avoir traversé la littérature latino-américaine sur la pointe des pieds, l’Uruguayen Felisberto Hernández laisse des œuvres complètes d’une singulière minceur.
Ce fut une ombre. Un feu follet, que le pampero –le vent du diable- a fini par emporter un matin de janvier 1964. Il n’avait que 62 ans, et laissait une poignée de livres fantomatiques, composés de fragments, de brèves nouvelles, de confidences furtives, de minuscules lopins de rêves. (…)
C’est là, dans la ville crépusculaire qui a vu naître Lautréamont et Laforgue, que Felisberto Hernández a passé sa vie, en multipliant les mariages, les échecs et les déboires. Si la marginalité est un art, il l’aura cultivé avec un bel entêtement. Jusqu’à devenir un écrivain inclassable, absolument singulier que Cortazar et Calvino tenaient pour l’un des plus grands du siècle. Mais avant la littérature, il y eut la musique. C’est dans une fosse d’orchestre que nous découvrons le jeune Felisberto. Il a 15 ans, porte un frac délavé et accompagne au piano les films de l’époque, sous un écran muet où sautille le spectre de Charlot.
Par la suite, il amorcera une modeste carrière de concertiste en Uruguay. Salles froides, soirées blafardes, grisaille des provinces. Au hasard de ses tournées, il commence à fabriquer de petites brochures confidentielles sur des ronéos de fortune, d’étranges samizdats où l’ange du bizarre se fait la main avent de publier, en 1942, sa première « prousterie », un florilège de souvenirs qui remontent à l’enfance, quand il apprenait l’harmonie avec l’organiste français Clemente Colling. Le livre est un fiasco commercial. Il faut dire que notre funambule déroute, avec ses métaphores acrobatiques et son imagination extravagante. (…)
Jules Supervielle, rencontré à Montevideo, saura l’encourager. Il devient son mentor et lui organise –après la guerre- un long séjour à Paris. Dans sa chambre de l’hôtel Rollin, il lit Sartre et écrit son récit le plus célèbre, Les Hortenses, somptueux théâtre d’ombres où dansent des poupées grandeur nature, tout droit sorties d’une toile de Hans Bellmer.
(…)
Tout l’art de Felisberto Hernández est dans la métamorphose. Dans cette subtile somnolence qui s’empare de ses personnages et les conduit, les paupières closes, au pays des rêves. À quoi sert la littérature ? « À imposer la fiction à la réalité », répondait Borges. Ces mots définissent parfaitement l’univers du prestidigitateur de Montevideo, qui, de son chapeau, tirait les lapins blancs du merveilleux. Ils divaguent encore à travers la pampa, sur un air de tango. Entrez dans la danse, c’est un bonheur.
André Clavel, L’Express, 02/01/1997

Deux textes
Il y avait une ville que j’aimais visiter en été. À cette époque-là, presque tout un quartier se rendait à une station balnéaire voisine.
L’une des maisons abandonnées était très ancienne ; on y avait installé un hôtel et à peine commençait l’été, la maison devenait triste, elle perdait peu à peu ses meilleures familles et n’était plus habité que par les domestiques. Si je m’étais caché derrière elle, et si j’avais poussé un cri, celui-ci se serait tout de suite éteint dans la mousse.
Le théâtre où je donnais mes concerts avait aussi peu de monde et le silence l’avait envahi : je le voyais grandir sur le couvercle noir du piano. Le silence aimer écouter la musique : il entendait jusqu’à la dernier résonance et après, il pensait à ce qu’il avait écouté.
Ses opinions tardaient à venir. Mais lorsque le silence se trouvait en confiance, il intervenait dans la musique : il passait entre les sons comme un chat avec une grande queue noire et les laissait pleins d’intentions ».
Le balcon, Personne n’allumait les lampes.

D’abord, on voyait tout blanc : les grandes housses du piano et du canapé et les autres, plus petites, sur les fauteuils et les chaises. En dessous étaient tous les meubles ; on savait qu’ils étaient noirs car quand finissaient les jupes commençaient les pattes. –Une fois que j’étais tout seul dans le salon je soulevai la jupe d’une chaise ; et je sus que même si tout le bois était noir le siège était d’un tissu vert et luisant-.
Comme ni ma grand-mère, ni ma mère m’accompagnèrent de nombreux soirs à ma leçon et comme presque toujours Celina –ma maitresse de piano quand j’avais dix ans- tardait à arriver, j’eus assez de temps pour établir un rapport intime avec tout ce qui se trouvait dans le salon. C’est sûr que quand Celina arrivait les meubles et moi, nous agissions comme si rien n’était arrivé ».
Le cheval perdu.

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Hace mucho tiempo, unos treinta y cinco años, yo todavía vivía en Buenos Aires, descubrí un autor uruguayo, Felisberto Hernández, gracias a uno de sus libros, Nadie encendía las lámparas, cuya poesía tan particular me fascinó.
Durante mi estadía en Montevideo pude completar mi colección de libros de este autor comprando cuatro de sus obras en la librería Feria del Libro, en la avenida 18 de Julio.
Y heme aquí de nuevo sumergido en el universo de Felisberto Hernández donde lo extraño y lo normal conviven en total armonía.
Exceptuando algunos cuentos, como el excepcional « Las Hortensias », los textos del autor uruguayo son el diario de a bordo de un pobre pianista de gira, un observador periférico de un mundo donde la lógica y lo previsible son dados vuelta, donde los objetos concretos o abstractos están tan vivos como los humanos.
Hay que precisar, por otra parte, que el mismo Felisberto Hernández era pianista y estaba acostumbrado a ese tipo de giras en salas de concierto, con noches pasadas en hoteles lastimosos… Puede que ante esta mediocridad, la fantasía y la imaginación haya sido los únicos salvavidas…
Voy a dejarle ahora la palabra a Julio Cortázar, quien escribió en su prólogo de « La casa inundada y otros cuentos » :
«A riesgo de provocar la sonrisa de no pocos críticos literarios, pienso que la obra del uruguayo Felisberto Hernández sólo admite ser comparada con la de otro creador situado en el extremo opuesto del mundo latinoamericano que él conoció: José Lezama Lima.
Entiéndase que hablo de subyacencias, de tangencias, de afinidades difícilmente descriptibles. Como el poeta y narrador cubano, Felisberto pertenece a esa estirpe espiritual que alguna vez califiqué de presocrática, y para la cual las operaciones mentales sólo intervienen como articulación y fijación de otro tipo de contacto con la realidad.
Al igual que los eleatas, Lezama y Felisberto se conectan con las cosas (porque de alguna manera todo es cosa para ellos, palabras o muebles o pasiones o pensamientos son a la vez tangibles e inefables, sueño y vigilia) desde una intuición que sólo puede ser instalada en el lenguaje por obra de la imagen poética, del encuentro no fortuito de la máquina de coser y del paraguas en la mesa de disección.(…)
Entonces, no paradójicamente aunque algunos puedan pensarlo así, cada uno de sus relatos tiene la terrible fuerza de instalar al lector en el Uruguay de su tiempo, y a mí me basta releerlos para sentirme otra vez en las calles montevideanas, en los cafés y los hoteles y los pueblos del interior donde todo se da como a desgano, como el daría esos conciertos de piano llenos de polillas. Y cuentas sin pagar y trajes alquilados. ¿Debe pedírsele más a un narrador capaz de aliar lo cotidiano con lo excepcional al punto de mostrar que pueden ser la misma cosa ».

Y Felisberto Hernández, ¿que decía de ello?
«Lo más seguro de todo es que yo no sé cómo hago mis cuentos, porque cada uno de ellos tiene su vida extraña y propia. Pero también sé que viven peleando con la conciencia para evitar los extranjeros que ella les recomienda ».

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El elfo de Montevideo
Felisberto Hernández, concertista fracasado, sólo dejó a la literatura algunos recuerdos. Sin embargo, Cortázar y Calvino lo consideraban uno de los más grandes del siglo, y Supervielle fue su mentor. No se equivocaron con respecto al uruguayo.

Por haber atravesado la literatura latinoamericana en puntas de pié, el uruguayo Felisberto Hernández deja unas obras completas de una delgadez singular.
Fue una sombra. Un fuego fatuo al que el pampero –el viento del diablo- terminó por llevarse en enero de 1964. Sólo tenía 62 años, y dejaba un puñado de libros fantasmales, compuestos por fragmentos, cuentos, confidencias furtivas, minúsculas parcelas de sueños. (…)
Allí, en la ciudad crepuscular que vio nacer a Lautréamont y a Laforgue, Felisberto Hernández pasó su vida, multiplicando las bodas, los fracasos y los sinsabores. Si la marginalidad es un arte, la cultivó con una bella testarudez. Hasta volverse un escritor inclasificable, absolutamente singular a quien Cortázar y Calvino consideraban como a uno de los más grandes del siglo. Pero antes de la literatura estuvo la música. Es en un foso de orquesta que descubrimos al joven Felisberto. Tiene 15 años, lleva un frac desteñido y acompaña al piano las películas de la época, bajo una pantalla muda sobre la cual brinca el espectro de Chaplin.
Comenzará luego una modesta carrera de concertista en Uruguay. Salas frías, veladas macilentas, gris provinciano. Durante sus giras comenzó a fabricar pequeños fascículos confidenciales con copiadoras de fortuna, extraños samizdats en los cuales el ángel de lo extraño ensaya, antes de publicar, en 1942, su primera « proustería”, un florilegio de recuerdos que remontan a la infancia, cuando aprendía armonía con el organista francés Clemente Colling. El libro es un fiasco comercial. Debemos decir que nuestro funámbulo extraña con sus metáforas acrobáticas y su imaginación extravagante. (…)
Jules Supervielle, a quien conoció en Montevideo, sabrá animarlo. Se vuelve su mentor y le organiza –después de la guerra- una larga estadía en París. En su habitación del hotel Rollin, lee a Sartre y escribe su relato más célebre, Las Hortensias, suntuoso teatro de sombras en el cual bailan muñecas de tamaño natural, salidas directamente de un cuadro de Hans Bellmer.
(…)
Todo el arte de Felisberto Hernández está en la metamorfosis. En esta sutil somnolencia que se apodera de sus personajes y los lleva, con los párpados cerrados, al país de los sueños. ¿Para qué sirve la literatura? “Para imponer la ficción a la realidad”, contestaba Borges. Estas palabras definen perfectamente el universo del prestidigitador de Montevideo, que sacaba los conejos blancos de lo maravilloso de su sombrero. Divagan aún por la pampa, con un aire de tango. Entren en el baile, es una felicidad.
André Clavel, L’Express, 02/01/1997

Dos textos
Había una ciudad que a mí me gustaba visitar en verano. En esa época casi todo un barrio se iba a un balneario cercano.
Una de las casas abandonadas era muy antigua; en ella habían instalado un hotel y apenas empezaba el verano, la casa se ponía triste, iba perdiendo sus mejores familias y quedaba habitada nada más que por los sirvientes. Si yo me hubiera escondido detrás de ella y soltado un grito, este enseguida se hubiera apagado en el musgo.
El teatro donde yo daba los conciertos también tenía poca gente y lo había invadido el silencio: yo lo veía agrandarse en la gran tapa negra del piano. Al silencio le gustaba escuchar la música; oía hasta la última resonancia y después se quedaba pensando en lo que había escuchado.
Sus opiniones tardaban. Pero cuando el silencio ya era de confianza, intervenía en la música: pasaba entre los sonidos como un gato con una gran cola negra y los dejaba llenos de intenciones”.
El balcón, Nadie encendía las lámparas

Primero se veía todo lo blanco: las fundas grandes del piano y del sofá y otras, más chicas, en los sillones y las sillas. Y debajo estaban todos los muebles; se sabía que eran negros porque al terminar las polleras se les veían las patas. –Una vez que yo estaba solo en la sala le levanté la pollera a una silla; y supe que aunque toda la madera era negra el asiento era de un género verde y lustroso-.
Como fueron muchas las tardes en que ni mi abuela ni mi madre me acompañaron a la lección y como casi siempre Celina –mi maestra de piano cuanso yo tenía diez años- tardaba en llegar, yo tuve bastante tiempo para entrar en relación íntima con todo lo que había en la sala. Claro que cuando veía Celina los muebles y yo nos portábamos como si nada hubiera pasado”.
El caballo perdido

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