Des signes avant-coureurs

En compagnie des hommes, Véronique Tadjo, Éd. Don Quichotte, 2017

 

«On ne décime pas la forêt sans faire couler du sang. Les hommes d’aujourd’hui se croient tout permis. Ils se pensent les maîtres, les architectes de la nature. Ils s’estiment seuls habitants légitimes de la planète alors que des millions d’autres espèces la peuplent depuis des millénaires. Aveugles aux souffrances qu’ils infligent, ils sont muets devant leur propre indifférence. Impossible d’arrêter leur voracité. Ils dévorent encore davantage même quand ils ont déjà tout. Et, lorsqu’ils sont repus, ils se tournent vers d’autres envies: denrées, argent, pacotilles. Ils gaspillent. Entre eux, ils s’arrachent les ressources naturelles. Ils creusent dans le ventre de la terre. Ils plongent dans les océans. Ils iront jusqu’au bout ».

Voici ce que nous dit l’autrice ivoirienne Véronique Tadjo, à la page 22 de son roman polyphonique En compagnie des hommes, dont le sujet est l’épidémie d’Ébola qui ravagea entre 2013 et 2016 la Guinée, le Libéria et la Sierra Léone. Cinq ans plus tard, ce mots résonnent en écho devant la pandémie de COVID 19.

Dans ce livre, qui s’ouvre et se referme sur la voix du baobab, l’arbre à paroles, la romancière a choisi de nous faire entendre de multiples voix, qui vont de celle du chercheur congolais qui découvrit Ébola,  en 1976, à celle du virus lui-même, en passant par les voix d’ un fossoyeur, d’une infirmière, d’un malade, d’un médecin… Elles nous parlent aussi bien du courage et du dévouement du personnel soignant que de l’égoïsme des pays du nord, de l’horreur que de l’héroïsme.

La première de ces voix est peut-être la plus déchirante, celle d’un père qui chasse sa fille de chez lui afin qu’elle ait la vie sauve.

Le baobab prend ensuite la parole. Le baobab, «arbre premier, arbre éternel, arbre symbole. Ma cime touche le ciel et offre une ombre rafraîchissante au monde. Je cherche la lumière douce, porteuse de vie. Afin qu’elle éclaire l’humanité, illumine la pénombre et apaise l’angoisse»

Le baobab est d’ailleurs le premier à exprimer l’idée qui circule d’un bout à l’autre d’En compagnie des hommes : Il nous faut changer impérativement le politiques qui nous gouvernent depuis trop de temps sans tenir compte de l’écologie, dont le seul but est l’enrichissement immoral d’une petite élite et qui mène la planète à sa perte.

Le virus lui-même et la chauve-souris font entendre leur voix. Ils refusent d’être tenus pour responsables du drame, dont les causes sont à rechercher dans la mainmise des hommes sur la nature.

L’épidémie ayant été enrayée, nous entendons finalement la v oix de l’arbre à paroles :

« Aux confins du pays, la vie a repris également. Dans mon village, les hommes ont retrouvé leur place à l’ombre de mon feuillage. Sous mon regard protecteur, ils se reposent sur des nattes colorées. Auparavant, ils avaient partagé un repas préparé en commun. Plongeant les mains dans de grands plats, ils ont savouré des boulettes de riz et quelques morceaux de viande.

Les enfants accrochés à leurs mères tètent le sein. Les cabris s’approchent pour observer la scène du retour à la normale. Je tends l’oreille aux paroles des villageois. Une vieille femme se lève. Ses tresses sont d’un gris très doux et tombent sur ses épaules. De l’inquiétude se lit dans ses yeux, mais un sourire se dessine néanmoins sur son visage. Elle s’adresse à ses compagnons : la paix est avec nous, mais restons prudents. Nous sommes morts plusieurs fois, il nous faut respecter la vie.

La tendresse, soudain, m’envahit. Je reconnais les survivants, je pleure avec eux les morts.

À la tombée du jour sortent les musiciens. Les poètes commencent à psalmodier les hauts faits des héros de la lutte. »

Un roman très beau, très lucide dont le style limpide rappelle celui des fables et que l’on peut mettre en mains de nos apprenants dès le niveau B1.

Signos anunciadores

En compagnie des hommes, Véronique Tadjo, Éd. Don Quichotte, 2017

«No se destruye el bosque sin hacer correr sangre. Los hombres de hoy se creen todo permitido. Se creen los amos, los arquitectos de la naturaleza. Se estiman los únicos habitantes legítimos del planeta cuando millones de otras especies lo pueblan desde hace milenios. Ciegos ante los sufrimientos que infringen, son mudos ante su propia indiferencia. Imposible detener su voracidad. Devoran aún más aunque ya tengan todo. Y cuando están satisfechos, se vuelven hacia otros deseos: mercancías, dinero, pacotillas. Malgastan. Entre ellos, se arrancan los recursos naturales. Excavan en el vientre de la tierra. Se zambullen en los océanos. Irán hasta el final.».

Esto es lo que nos dice la autora marfileña Véronique Tadjo, en la página 22 de su novela polifónica En compañía de los hombres, cuyo tema es la epidemia de Ébola que asoló entre 2014 y 2016 Guinea, Liberia y Sierra Leone. Cinco años más tarde, esas palabras resuenan como un eco ante la pandemia de COVID 19.

En este libro, que se abre y se cierra con la voz del baobab, el árbol de palabras, la noivelista eligió hacernos oir múltiples voces, que van de la del investigador congoleño que descubrió Ébola, en 1976, a la del propio virus, pasando por las voces de un enterrador, de una enfermera, de un enfermo, de un médico… Nos hablan tanto del coraje y la dedicación del personal de salud, como del egoísmo de los países del norte, del horror y del heroísmo.

La primera de esas voces es quizá la más desgarradora, la de un padre que echa a su hija de la casa para salvar su vida.

El baobab toma luego la palabra. El baobab, «árbol primero, árbol eterno, árbol símbolo. Mi cima toca el cielo y regala una sombra refrescante al mundo. Busco la luz suave, portadora de vida. Para que ilumine a la humanidad, ilumine la penumbra y apacigüe la angustia

El baobab es por otra parte el primero en expresar la idea que circula de una punta a la otra de En compañía de los hombres: Debemos cambiar imperativamente las políticas que nos gobiernan desde hace demasiado tiempo sin tener en cuenta la ecología, cuya única finalidad es el enriquecimiento inmoral de una pequeña elite y que lleva al planeta a su término.

El virus mismo y el murciélago hacen oír su voz. Rechazan ser considerados responsables del drama, cuyas causas deben buscarse en el atropello de los hombres contra la naturaleza.

Habiendo sido controlada la epidemia, oímos finalmente la voz del árbol de palabras:

« En los confines del país la vida retomó también. En mi poblado los hombres han vuelto a encontrar su lugar a la sombra de mi follaje. Bajo mi mirada protectora, descansan sobre esteras coloridas. Antes, habían compartido una comida preparada en común. Hundiendo sus manos en las grandes fuentes, han saboreado albondiguillas de arroz y algunos pedazos de carne.

Los niños agarrados de sus madres maman el pecho. Los cabritos se acercan para observar la escena de vuelta a la normalidad. Tiendo el oído a las palabras de los campesinos. Una anciana se levanta. Sus trenzas son de un gris muy suave y caen sobre sus hombros. En sus ojos se lee inquietud, pero una sonrisa se dibuja sin embargo sobre su rostro. Se dirige a sus compañeros: la paz está con ustedes, pero seamos prudentes. Hemos muerto varias veces, debemos respetar la vida.

La ternura me invade de pronto. Reconozco a los sobrevivientes, lloro los muertos con ellos.

Al caer el día salen los músicos. Los poetas comienzan a salmodiar los altos hechos de los héroes de la lucha.»

Una novela muy bella, muy lúcida cuyo estilo límpido recuerda el de las fábulas y que se puede poner en manos de nuestros alumnos a partir del nivel B1.  

Langues d’amour – Lenguas de amor

L’autrice argentine d’expression française, Laura Alcoba affirme qu’elle écrit en français car, pour elle, l’espagnol est la langue du silence. Ce silence de mort instauré en Argentine par la dictature militaire qui la força, enfant, avec sa mère, à s’exiler en France.

Ceci me fit penser à mon propre rapport avec mes deux langues.

Je constate alors que jusqu’à mes 42 ans, je n’ai pas su, je n’ai pas pu, exprimer l’amour en français

Chez moi, dans ma famille, les gestes et les mots d’amour, les effusions, n’étaient pas de mise. Tout au plus un baiser pour l’anniversaire ou le jour de l’An !

J’appris donc ã prononcer mes premiers mots d’amour, vers l’âge de 15 ans, en espagnol, la langue de mon environnement argentin.

Ce ne fut qu’a l’âge de 42 ans que je pus exprimer mon amour en français, à la naissance de ma fille, le 12 février 1989.

Puis, une quinzaine d’années plus tard, grâce a une rencontre inattendue et inespérée, ainsi que merveilleuse, le français put devenir aussi la langue de la passion.

Les aléas de l’existence et de l’amour me firent habiter mes langues, comme le dit si bien Cioran, comme deux pays où se rencontrent toutes les émotions.

La autora argentina de expresión francesa Laura Alcoba afirma que escribe en francés  ya que, para ella, el castellano es la lengua del silencio. Ese silencio de muerte instaurado en Argentina por la dictadura militar que la forzó, niña aún, con su madre, a exiliarse en Francia.

Esto me hizo pensar en mi propia relación con mis dos lenguas.

Constato que hasta mis 42 años no supe, no pude, expresar amor en francés.

En casa, en mi familia, los gestos y las palabras de amor, las efusiones, no estaban a la orden del día. ¡Cuánto más un beso para el cumpleaños o Año Nuevo!

Aprendí entonces a pronunciar mis primeras palabras de amor, alrededor de mis 15 años, en castellano, la lengua de mi entorno argentino.

Sólo fue a la edad de 42 años que pude expresar mi amor en francésw, con el nacimiento de mi hija, el 12 de febrero de 1989.

Luego, unos quince años más tarde, gracias a un encuentro tan inesperado como maravilloso, el francés pudo volverse también la lengua de la pasión.

Las circunstancias de la existencia y del amor me hicieron habitar mis lenguas, como tan bien lo dice Cioran, como dos países donde se encuentran todas las emociones.

Une arme chargée de futur – Un arma cargada de futuro

Une anecdote de la Résistance à l’envahisseur nazi, durant la Deuxième Guerre qui nous montre que l’espagnol Luis Celaya avait bien raison quand il affirmait que « la poésie est une arme chargée de futur ».
À partir de 1940, la Résistance s’organise dans les maquis, e France, et à Londres, autour du général De Gaulle.
Vers 1942, des avions survolent la France parachutant des armes, des munitions et des poèmes.
Parmi ceux.ci, des textes de deux écrivains entrés dans la Résistance, Louis Aragon et Paul Éluard.
Dans ces années sombres, nombreux sont les poètes qui se soulèvent contre l’ennemi, René-Guy Cadou, Robert Desnos, Marianne Cohn, René Char… Leurs textes circulent dans des journaux ou des revues clandestins.  

Et certains tombent du ciel.

aragonLa rose et le réséda, de Louis Aragon, est un appel  â l’unité face â l’intolérable, la rose, rouge, symbolisant les communistes, le réséda, blanc, les chrétiens.

La Rose et le Réséda
À Gabriel Péri et d’Estienne d’Orves comme à Guy Môquet et Gilbert Dru

Celui qui croyait au ciel
Celui qui n’y croyait pas
Tous deux adoraient la belle
Prisonnière des soldats
Lequel montait à l’échelle
Et lequel guettait en bas
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n’y croyait pas
Qu’importe comment s’appelle
Cette clarté sur leur pas
Que l’un fût de la chapelle
Et l’autre s’y dérobât
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n’y croyait pas
Tous les deux étaient fidèles
Des lèvres du coeur des bras
Et tous les deux disaient qu’elle
Vive et qui vivra verra
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n’y croyait pas
Quand les blés sont sous la grêle
Fou qui fait le délicat
Fou qui songe à ses querelles
Au cœur du commun combat
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n’y croyait pas
Du haut de la citadelle
La sentinelle tira
Par deux fois et l’un chancelle
L’autre tombe qui mourra
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n’y croyait pas
Ils sont en prison Lequel
A le plus triste grabat
Lequel plus que l’autre gèle
Lequel préfère les rats
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n’y croyait pas
Un rebelle est un rebelle
Nos sanglots font un seul glas
Et quand vient l’aube cruelle
Passent de vie à trépas
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n’y croyait pas
Répétant le nom de celle
Qu’aucun des deux ne trompa
Et leur sang rouge ruisselle
Même couleur même éclat
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n’y croyait pas
Il coule il coule il se mêle
A la terre qu’il aima
Pour qu’à la saison nouvelle
Mûrisse un raisin muscat
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n’y croyait pas
L’un court et l’autre a des ailes
De Bretagne ou du Jura
Et framboise ou mirabelle
Le grillon rechantera
Dites flûte ou violoncelle
Le double amour qui brûla
L’alouette et l’hirondelle
La rose et le réséda
Louis Aragon, mars 1943.

Le deuxième poème qui tombait du ciel est, certes, le plus connu de Paul Éluard, Liberté.
Dans ce « monde très dur » de l’Occupation, le poème Liberté circulait dans toute l’Europe, était sur les lèvres de ceux qui résistaient à l’horreur.

paul-eluardLiberté

Sur mes cahiers d’écolier
Sur mon pupitre et les arbres
Sur le sable sur la neige
J’écris ton nom

Sur les pages lues
Sur toutes les pages blanches
Pierre sang papier ou cendre
J’écris ton nom

Sur les images dorées
Sur les armes des guerriers
Sur la couronne des rois
J’écris ton nom

Sur la jungle et le désert
Sur les nids sur les genêts
Sur l’écho de mon enfance
J’écris ton nom

Sur les merveilles des nuits
Sur le pain blanc des journées
Sur les saisons fiancées
J’écris ton nom

Sur tous mes chiffons d’azur
Sur l’étang soleil moisi
Sur le lac lune vivante
J’écris ton nom

Sur les champs sur l’horizon
Sur les ailes des oiseaux
Et sur le moulin des ombres
J’écris ton nom

Sur chaque bouffée d’aurore
Sur la mer sur les bateaux
Sur la montagne démente
J’écris ton nom

Sur la mousse des nuages
Sur les sueurs de l’orage
Sur la pluie épaisse et fade
J’écris ton nom

Sur les formes scintillantes
Sur les cloches des couleurs
Sur la vérité physique
J’écris ton nom

Sur les sentiers éveillés
Sur les routes déployées
Sur les places qui débordent
J’écris ton nom

Sur la lampe qui s’allume
Sur la lampe qui s’éteint
Sur mes raisons réunies
J’écris ton nom

Sur le fruit coupé en deux
Du miroir et de ma chambre
Sur mon lit coquille vide
J’écris ton nom

Sur mon chien gourmand et tendre
Sur ses oreilles dressées
Sur sa patte maladroite
J’écris ton nom

Sur le tremplin de ma porte
Sur les objets familiers
Sur le flot du feu béni
J’écris ton nom

Sur toute chair accordée
Sur le front de mes amis
Sur chaque main qui se tend
J’écris ton nom

Sur la vitre des surprises
Sur les lèvres attendries
Bien au-dessus du silence
J’écris ton nom

Sur mes refuges détruits
Sur mes phares écroulés
Sur les murs de mon ennui
J’écris ton nom

Sur l’absence sans désir
Sur la solitude nue
Sur les marches de la mort
J’écris ton nom

Sur la santé revenue
Sur le risque disparu
Sur l’espoir sans souvenir
J’écris ton nom

Et par le pouvoir d’un mot
Je recommence ma vie
Je suis né pour te connaître
Pour te nommer

LIBERTÉ
Paul Eluard, Poésies et vérités , 1942

La poésie, la parole libre est une arme très souvent plus dangereuse que les balles aux yeux des dictateurs. Voici pourquoi ils interdisent et brûlent des livres. Voici pourquoi les premiers qu’ils font disparaître, les premiers qu’ils enferment dans leurs geôles, sont les poètes.

Una anécdota de la Resistencia al invasor nazi, durante la Segunda Guerra que nos muestra que el español Luis Celaya tenía mucha razón cuando afirmaba que « la poesía es un arma cargada de futuro ».
A partir de 1940, la Resistencia se organiza en los « maquís », en Francia, y en Londres, alrededor del general De Gaulle.
Hacia 1942, aviones sobrevolaban Francia arrojando con paracaídas armas, municiones y poemas.
Entre estos, textos de dos escritores de la Resistencia,, Louis Aragon y Paul Éluard.
En esos años sombríos, numerosos son los poetas que se levantan contra el enemigo, René-Guy Cadou, Robert Desnos, Marianne Cohn, René Char… Sus textos circulan en diarios o revistas clandestinos.
Y algunos caen del cielo.

La rosa y la reseda, de Louis Aragon, es un llamado a la unidad frente a lo intolerable, la rosa, roja, simboliza a los comunistas, la reseda, blanca, a los cristianos.

aragon 1La Rosa y la Reseda
A Gabriel Péri y d’Estienne d’Orves como a Guy Môquet y Gilbert Dru

El que creía en el cielo
El que no creía
Ambos adoraban a la bella
Prisionera de los soldados
Cual subía por la escalera
Y cual cuidaba abajo

El que creía en el cielo
El que no creía
Que importa cómo se llama
Esta claridad sobre sus pasos
Que uno fuese de la capilla
Y el otro le escapara
El que creía en el cielo

El que no creía
Ambos eran fieles
Con los labios el corazón los brazos
Y ambos decían que ella
Viva y que quien viva verá
El que creía en el cielo

El que no creía
Cuando el trigo está bajo el granizo
Loco el que se hace el delicado
Loco el que piensa en sus querellas
En el corazón del combate común
El que creía en el cielo

El que no creía
Desde lo alto de la ciudadela

El sentinela tiró
Dos veces y uno titubea
El otro cae y morirá
El que creía en el cielo

El que no creía
Están en prisión Cual
Tiene el camastro más triste
Cual se congela más que el otro
Cual prefiere las ratas
El que creía en el cielo

El que no creía
Un rebelde es un rebelde
Nuestros sollozos suenan igual
Y cuando llega el alba cruel
Pasan de la vida a la muerte
El que creía en el cielo

El que no creía
Repitiendo el nombre de aquella 

Que ninguno de los dos engañó
Y su sangre roja chorrea
Mismo color mismo brillo
El que creía en el cielo

El que no creía
Corre corre se confunde
Con la tierra que amó
Para que en la nueva estación
Madure la uva moscatel
El que creía en el cielo

El que no creía
Uno corre y el otro tiene alas
De Bretaña o del Jura
Y frambuesa o ciruela
El grillo volverá a cantar
Digan la flauta o el violonchelo
El doble amor que quemó
A la alondra y la golondrina
La rosa y la reseda

Louis Aragon, marzo de 1943.

El segundo poema que caía del cielo es, ciertamente, el más conocido de Paul Éluard, Libertad.
En ese « mundo muy duro » de la Ocupación, el poema Libertad circulaba por toda Europa, estaba en los labios de los que resistían al horror.

EluardLibertad
 

Sobre mis cuadernos de colegial
Sobre el pupitre y los árboles
Sobre la arena sobre la nieve
Escribo tu nombre

Sobre todas las páginas leídas
Sobre todas las páginas en blanco
Piedra, sangre, papel o ceniza
Escribo tu nombre

Sobre las imágenes doradas
Sobre las armas de los belicosos
Sobre la corona de reyes
Escribo tu nombre

Sobre la selva y el desierto
Sobre los nidos sobre las retamas
Sobre el eco de mi infancia
Escribo tu nombre

Sobre las maravillas de las noches
Sobre el pan blanco de los días
Sobre las temporadas desposadas
Escribo tu nombre

Sobre todos mis trapos de azul
Sobre el estanque sol enmohecido
Sobre el lago luna viva
Escribo tu nombre

Sobre los campos sobre el horizonte
Sobre las alas de los pájaros
Y sobre el molino de las sombras
Escribo tu nombre

Sobre cada soplo de aurora
Sobre el mar en los barcos
Sobre la montaña lunática
Escribo tu nombre

Sobre la espuma de las nubes
Sobre los sudores de la tormenta
Sobre la lluvia gruesa e insípida
Escribo tu nombre

Sobre las formas que centellean
Sobre las campanas de los colores
Sobre la verdad física
Escribo tu nombre

Sobre las sendas despertadas
Sobre las carreteras desplegadas
Sobre los lugares que desbordan
Escribo tu nombre

Sobre la lámpara que se enciende
Sobre la lámpara que se apaga
Sobre mis casas reunidas
Escribo tu nombre

Sobre el fruto cortado en dos
Espejo y mi habitación
Sobre mi cama vacía
Escribo tu nombre

Sobre mi perro codicioso y tierno
Sobre sus orejas elaboradas
Sobre su pierna torpe
Escribo tu nombre

Sobre el trampolín de mi puerta
Sobre los objetos familiares
Sobre el mar del fuego bendito
Escribo tu nombre

Sobre toda carne concedida
Sobre la frente de mis amigos
Sobre cada mano que se tiende
Escribo tu nombre

Sobre el cristal de las sorpresas
Sobre los labios atentos
Bien sobre el silencio
Escribo tu nombre

Sobre mis refugios destruidos
Sobre mis faros aplastados
Sobre las paredes de mi problema
Escribo tu nombre

Sobre la ausencia sin deseos
Sobre la soledad desnuda
Sobre las marchas de la muerte
Escribo tu nombre

Sobre la salud vuelta de nuevo
Sobre el riesgo desaparecido
Sobre la esperanza sin recuerdos
Escribo tu nombre

Y por el poder de una palabra
Reinicio mi vida
Nací para conocerte
Para nombrarte

Libertad

Paul Eluard, Poesías y verdades , 1942

La poesía, la palabra libre es un arma muy a menudo más peligrosa que las balas ante los ojos de los dictadores. Es por ello que prohíben y queman libros. Es por ello que a los primeros que hacen desaparecer, a los primeros que encierran en sus calabozos, es a los poetas.

Y’a bon!

y_abon1L’une des stratégies dialectiques employées par la France pour justifier sa colonisation de l’Afrique, fut celle de présenter ses habitants comme de grands enfants dénués de toute responsabilité.
II est vrai aussi qu’une autre stratégie fut de présenter les Africains comme des « sauvages », cannibales et sanguinaires.

Guy de Maupassant, pourtant connu pour son indignation face à la spoliation que faisaient subir les colons français aux agriculteurs algériens, nous décrit, dans le conte Tombouctou qui intègre le recueil Contes du jour et de la nuit, un soldat noir, engagé durant la guerre de 1870.

« Tout à coup un nègre énorme, vêtu de noir, ventru, chamarré de breloques sur un gilet de coutil, la face luisante comme si elle eût été cirée, passa devant eux avec un air de triomphe. Il riait aux passants, il riait aux vendeurs de journaux, il riait au ciel éclatant, il riait à Paris entier. Il était si grand qu’il dépassait toutes les têtes; et, derrière lui, tous les badauds se retournaient pour le contempler de dos.
    Mais soudain il aperçut les officiers, et, culbutant les buveurs, il s’élança. Dès qu’il fut devant leur table, il planta sur eux ses yeux luisants et ravis, et les coins de sa bouche lui montèrent jusqu’aux oreilles, découvrant ses dents blanches, claires comme un croissant de lune dans un ciel noir. Les deux hommes, stupéfaits, contemplaient ce géant d’ébène, sans rien comprendre à sa gaieté.
    Et il s’écria, d’une voix qui fit rire toutes les tables:
    – Bonjou, mon lieutenant.
    Un des officiers était chef de bataillon, l’autre colonel. Le premier dit:
    – Je ne vous connais pas, Monsieur; j’ignore ce que vous me voulez.
    Le nègre reprit:
    – Moi aimé beaucoup toi, lieutenant Védié, siège Bézi, beaucoup raisin, cherché moi.
    L’officier, tout à fait éperdu, regardait fixement l’homme, cherchant au fond de ses souvenirs; mais brusquement il s’écria:
    – Tombouctou?
    Le nègre, radieux, tapa sur sa cuisse en poussant un rire d’une invraisemblable violence et beuglant:
    – Si, si, ya, mon lieutenant, reconné Tombouctou, ya, bonjou. »

Les soldats en provenance des colonies combattaient déjà en Métropole, on ne pouvait donc plus les présenter comme des sauvages, des anthropophages ! Une manière de calmer les frayeurs du bon peuple de France face à ces soldats à la peau sombre.
Une guerre plus tard, en 1915, Banania, une boisson à base de banane et de chocolat, change son image de marque. Son affiche, créée par De Andries, nous montre un tirailleur sénégalais consommant le produit, et s’exclamant, en « petit nègre » : « Y’a bon ! ». Le même « petit nègre » avec lequel s’exprimait Tombouctou !

Après la deuxième Guerre Mondiale, Léopold Sédar Senghor écrivait :

« Je ne laisserai pas la parole aux ministres, et pas aux généraux
je ne laisserai pas — non ! — les louanges de mépris vous enterrer furtivement.
Vous n’êtes pas des pauvres aux poches vides sans honneur
Mais je déchirerai les rires banania sur tous les murs de France »

Dans ces années 2000, un prix est décerné aux propos les plus racistes de l’année, le « Y’a bon award ».
En 2009, l’un des lauréats fut le publicitaire Jacques Séguéla qui avait affirmé :

« L’Africain a su préserver une part de rêve qui reste intacte malgré nos sociétés phagocytées par l’argent. Il est très créatif et garde un culte de la langue que nous n’avons plus. Il garde une pureté, une innocence, une naïveté, qui est la forme que doit prendre la publicité. L’Africain est heureux malgré les drames qu’il côtoie. La publicité doit réveiller l’enfant qui sommeille en nous. La force de l’Africain, c’est de savoir garder cette part enfantine que les autres adultes effacent. »

La preuve que certains concepts, créés pour justifier l’exclusion, la ségrégation, en un mot le racisme, ont la vie dure.

banania-1

Una de las estrategias dialécticas empleadas por Francia para justificar su colon de África, fue la de presentar a sus habitantes como niños grandes carentes de toda responsabilidad.
Es verdad también que otra estrategia fue la de presentarlos como « salvajes », caníbales y sanguinarios.

Guy de Maupassant, conocido sin embargo por su indignación frente a la expoliación que hacían soportar los colonos franceses a los agricultores argelinos, nos describe, en el cuento Tombuctú que integra el libro Cuentos del día y de la noche, a un soldado negro enrolado en la guerra de 1870.

«De golpe un negro enorme, vestido de negro, panzón, con profusión de dijes en un chaleco de dril, con el rostro brillante como si lo hubieran encerado, pasó ante ellos con un aspecto triunfal. Les reía a los paseantes, les reía a los vendedores de diarios, le reía al cielo brillante. Era tan alto que sobrepasaba todas las cabezas; y, detrás de él, todos los curiosos se daban vuelta para contemplarlo de espaldas.
Pero de pronto descubrió a los oficiales, y, atropellando a los bebedores, se apresuró. Cuando estuvo delante de su mesa, plantó en ellos sus ojos brillantes y encantados, y las comisuras de sus labios le subieron hasta las orejas, mostrando sus dientes blancos, claros como una luna creciente en un cielo negro. Los dos hombres, estupefactos, contemplaban a este gigante de ébano, sin entender su alegría.
Y gritó, con una voz que hizo reír a todas las mesas:
– Ben día, mi teniente.
Uno de los oficiales era jefe de  batallón, el otro coronel. El primero dijo:
– No lo conozco, señor; ignoro lo que quiere de mí.
El negro retomó:
– Yo queré mucho vos, teniente Védié, sitio de Bézi, mucho uva, busqué vos.
El oficial, completamente perdido, miraba fijamente al hombre, buscando en el fondo de sus recuerdos; pero bruscamente exclamó:
– ¿Tombuctú?
El negro, radiante, golpeó su muslo profiriendo una risa de una violencia inverosímil y bramando:
– Si, si, ya, mi teniente, reconocé Tombuctú, ya, ben día

Los soldados de las colonias ya combatían en la Metrópoli, ¡no se podía entonces presentarlos como salvajes, antropófagos! Una manera de calmar los espantos del buen pueblo de Francia frente a estos soldados de piel oscura.

Una guerra más tarde, en 1915, Banania, una bebida a base de banana y chocolate, cambia su imagen de marca. Su afiche, creado por De Andries, nos muestra un tirador senegalés consumiendo el producto, y exclamando, en “negrito”:  « Y’a bon ! » (¡Ta bueno!). ¡El mismo lenguaje « negrito » con el que se expresaba Tombuctú!

Después de la segunda Guerra Mundial, Léopold Sédar Senghor escribía :

« No le dejaré la palabra a los ministros, ni a los generales
No dejaré — ¡no! — las alabanzas de desprecio enterrarlos furtivamente.
No son ustedes pobres con bolsillos vacíos sin honor
Pero arrancaré las risas Banania de todas las paredes de Francia.»

En los años 2000, un premio es otorgado a las expresiones más racistas del año, el « Y’a bon award».
En 2009, uno de los ganadores fue el publicitario Jacques Séguéla quien había afirmado:

« El africano ha sabido preservar una parte de sueño que permanece intacta a pesar de nuestras sociedades fagocitadas por el dinero. Es muy creativo y mantiene un culto de la lengua que ya no tenemos. Conserva una pureza, una inocencia, una ingenuidad que es la forma que debe tomar la publicidad. El africano es feliz a pesar de los dramas que lo tocan. La publicidad debe despertar al niño que duerme en nosotros. La fuerza del africano es haber sabido conservar esa parte infantil que los otros adultos borran.

La prueba de que ciertos conceptos creados para justificar la exclusión, la segregación, en una palabra, el racismo, tienen larga vida.

Un philosophe des Lumières – Un filósofo de las Luces

amo gCurieuse époque que le Siècle des Lumières ! L’esclavage bat encore son plein dans les Antilles et en Amérique, et, en Europe, il existe ce que l’on pourrait appeler une élite noire.
Le beau roman d’Emmanuel Dongala, La sonate à Bridgetower, nous fit découvrir George Bridgetower, violoniste virtuose à qui Beethoven dédia la sonate qui devint plus tard la Sonate à Kreutzer.
Depuis quelques dizaines d’années, le nom du Chevalier de Saint-Georges, musicien, compositeur et militaire, n’est plus un inconnu ainsi que le général Dumas, père du romancier Alexandre Dumas. Tous deux étaient fils d’une esclave et d’un colon des Antilles.
On connaît moins bien l’histoire d’Abraham Petrovich Hanibal, l’esclave africain affranchi et anobli par Pierre le Grand, tzar de Russie, qui fut l’arrière-grand-père du poète  Alexandre Pouchkine.

Je viens de découvrir,  pour ma part, et grâce au site de RFI, le philosophe Amo-Guiinea Afer, dont l’histoire est aussi surprenante que celles des autres membres de cette « élite ». Comme ce fut leur cas, sa mémoire fut longtemps vouée à l’oubli.

Amo naît à Axim, dans l’ouest du Ghana actuel, vers l’année 1703. À l’âge de trois ans, on le retrouve en Hollande. Quelques années plus tard, l’enfant est offert au duc de Wolfenbuttel.
Ce noble personnage le fait baptiser et donner la meilleure éducation. Son nom de baptême, Anton Wilhelm Amo. Enfant, Amo rencontre le philosophe et mathématicien Leibniz.
À l’université de Halle, le disciple de Leibniz, Christian Wolff, une référence pour Emmanuel Kant, sera son maître.
Sa première thèse, de 1729, qui n’est pas parvenue au XXIe siècle, porte un titre bien significatif, Sur le droit des Noirs en Europe.
Le chercheur Yoporeka Somet cite, dans son ouvrage Anthony William Amo, sa vie et son œuvre, son directeur de thèse, Johann Peter von Ludewig, qui écrit en 1729 :

anton-wilhelm-amo-901a0df5-a679-4784-90ea-f576ab9cf7e-resize-750« Ici séjourne depuis quelques temps un étudiant noir du nom d’Anton Wilhelm Amo, appartenant à la Cour de son Altesse Royale de Wolfenbüttel. Ayant auparavant acquis la maîtrise de la langue latine, il a poursuivi avec diligence et beaucoup de succès des études de droit privé et public. Devenu expert en ces matières, et en accord avec ses maîtres, il s’est inscrit en vue de présenter sa première dissertation, sous la direction du Doyen von Ludewig. Pour coller aux circonstances d’alors, ainsi qu’à sa situation personnelle, ils ont convenu ensemble que le sujet de la dissertation porterait sur le thème suivant : « De jure Maurorum in Europa », autrement dit « Sur le droit des Noirs en Europe ».
Dans cette dissertation, non seulement il a montré, en se fondant sur le Droit et l’Histoire, que les rois d’Afrique avaient été à une époque donnée vassaux de l’empereur romain et que chacun d’eux avait une franchise impériale, franchise que Justinien a, à son tour renouvelée ; mais il a encore tout spécialement examiné la question de savoir dans quelle mesure la liberté ou la servitude des Africains vivants en Europe après avoir été achetés par des chrétiens était ou non en accord avec les lois alors en vigueur à cette époque »

Bien qu’arrivé en Europe à l’âge de trois ans et ayant vécu dans un environnement favorisé, le jeune philosophe a toujours son Afrique natale bien vivante dans son esprit. Il signe d’ailleurs ses écrits Antonius Guillielmus Amo, Guinea Afer,  puis tout simplement Amo, Guinea Afer, Amo, Africain de Guinée.
En 1730 Amo quitte Halle pour s’inscrire à l’université de Wittemberg où il obtient le titre de magister. Il y soutient sa deuxième thèse, De humanae mentis apatheia seu sentionis ac facultatis sentiendi in mente humana absentia et earum in corpore nostro organico ac vivo praesentia (« De l’apathie de l’âme humaine de sentir, et de l’absence de faculté de sentir en elle, alors que notre organisme vivant possède ces qualités ».)
En 1736, Anton Wilhem Amo es de retour à Halle. Il y publie en 1738 son Tractatus de arte sobrie et accurate philosophandi (Traité de l’art de philosopher avec simplicité et précision).
Un an plus tard, nous le retrouvons à l’université d’Iéna.

En 1747, il retourne dans son pays d’origine, à Axim. Retour dont les raisons nous restent, pour ainsi dire, inconnues, car bien qu’il fût attaché à ses racines africaines, Amo avait passé presque toute sa vie en Allemagne.
L’abbé Grégoire, évoque ce retour dans De la littérature des Nègres :

« Après la mort du prince de Brunswick, son bienfaiteur, Amo, tombé dans une mélancolie profonde, résolut de quitter l’Europe qu’il avait habitée pendant trente ans, et de retourner dans sa terre natale à Axim, sur la Côte d’Or. Il y reçut, en 1753, la visite du savant voyageur et médecin David-Henri Gallandat, qui en parle dans les Mémoires de l’Académie de Flessingue, dont il était membre »

D’autres auteurs, dont Somet, nous disent que la principale raison de ce départ dut être le racisme dont il était la cible. Explication non négligeable pour une société schizophrène dont l’économie dépendait en grande partie de l’esclavage.
Après Axim, où il vit jusqu’en 1753, nous retrouvons Amo au fort négrier de Chama, prisonnier de toute évidence. Cet homme éclairé est devenu trop dangereux pour les trafiquants d’esclaves. Il y meurt en 1758.

Si l’œuvre d’Amo Guinea Afer est encore lue et étudiée, surtout dans les universités africaines, c’est grâce au premier président du Ghana indépendant, le panafricaniste Kwame Nkrumah, qui écrit dans son autobiographie

« En Amérique je découvris qu’Amo, un Nzima d’Axim, avait rédigé une thèse intitulée « Tractatus de arte sobrie et accurate philosophandi… »,  publiée à Halle en 1738. J’appris aussi qu’une copie de ladite thèse avait été déposée au British Museum et j’avais envisagé de rédiger une brochure sur l’œuvre de cet érudit, premier en date de la Côte de l’Or. Arrivé à Londres, je me rendis, plein d’expectative, au British Museum. Mais hélas, la thèse d’Amo avait été détruite lors d’un bombardement par les Allemands en mai 1941 ».

Une grande partie de l’œuvre d’Amo Guinea Afer est actuellement publiée et les chercheurs découvrent l’importance de ce philosophe. Un philosophe qui défendait le côté pragmatique de sa science. Pour lui « toute connaissance, non utilisée en fonction d’une fin, est inutile, sinon en elle-même, du moins dans son effet et par l’intention dont elle procède. L’utilité de chaque chose est en effet jugée selon son but ; le but de la philosophie est la conservation et le perfectionnement de l’espèce humaine. »

Bibliographie:Yoporeka Somet, Ntony William Amo, sa vie et son oeuvre, Teham Editions, 2016.

amo¡El Siglo de las Luces fue una época curiosa! La esclavitud florece todavía en las Antillas y en América, y, en Europa, existe lo que podría llamarse una elite negra.
La bella novela de Emmanuel Dongala, La sonata a Bridgetower, nos hizo descubrir a George Bridgetower, violinista virtuoso a quien Beethoven dedicó la sonata que fue luego la Sonata a Kreutzer.
Desde hace algunas décadas, el nombre del Caballero de Saint-Georges, músico, compositor y militar, ya no es desconocido así como el del general Dumas, padre del novelista Alejandro Dumas. Ambos eran hijos de una esclava y de un colono de las Antillas.
Se conoce menos la historia de Abraham Petrovich Hanibal, el esclavo africano liberado y ennoblecido por  Pedro el Grande, zar de Rusia, que fue el bisabuelo del poeta Alejandro Pushkin.

Acabo de descubrir, por mi lado, y gracias al sitio de RFI, al filósofo Amo-Guinea Afer, cuya historia es tan sorprendente como la de los otros miembros de esta “elite”. Como en el caso de aquuellos, su memoria cayó durante largo tiempo en el olvido.
Amo nace en Axim, en el oeste del actual Ghana, hacia el año 1703. A la edad de tres años lo encontramos en Holanda. Unos años más tarde, el niño es regalado al duque de Wolfenbuttel.
Este noble personaje lo hace bautizar y dar la mejor educación. Su nombre de pila, Anton Wilhelm Amo. Niño aún, Amo conoce al filósofo y matemático Leibniz.
En la universidad de Halle, el discípulo de Leibniz, Christian Wolff, una referencia para Emmanuel Kant, será su maestro.
Su primera tesis,  de 1729, que no llegó al siglo XXI, lleva un título muy significativo, Sobre el derecho de los negros en Europa.
El investigador Yoporeka Somet cita, en su libro Anthony William Amo, su vida y su obra, a su director de tesis, Johann Peter von Ludewig, quien escribió en 1729:

« Se encuentra aquí desde hace algún tiempo un estudiante negro cuyo nombre es Anton Wilhelm Amo, perteneciente a la corte de su Alteza Real de Wolfenbüttel. Habiendo antes adquirido la maestría de la lengua latina, prosiguió con diligencia y mucho éxito estudios de derecho privado y público. Ya experto en estas materias, y de acuerdo con sus maestros, se inscribió para presentar su primera disertación, bajo la dirección del Decano von Ludewig. Para adaptarse a las circunstancias de entonces, convinieron juntos que el tema de la disertación sería el siguiente: «De jure Maurorum in Europa », o sea « Sobre el derecho de los negros en Europa ».

En esta disertación, mostró no sólo, basándose en el Derecho y la Historia, que los reyes de África habían sido en una época dada, vasallos del emperador romano y que cada uno de ellos tenía una franquicia imperial, franquicia que Justiniano renovó; pero examinó muy especialmente la cuestión de saber en qué medida la libertad o la servidumbre de los africanos que viven en Europa después de haber sido comprados por cristianos estaba o no de acuerdo con las leyes vigentes en aquella época. »
Aunque hubiera llegado a Europa a la edad de tres años y hubiera vivido en un entorno holgado, el joven filósofo siempre tuvo a su África natal bien viva en su espíritu. Firma por otra parte suus escritos Antonius Guillielmus Amo, Guinea Afer,  y luego simplemente Amo, Guinea Afer, Amo, Africano de Guinea.
En 1730 Amo abandona Halle para inscribirse en la universidad de Wittemberg donde obtiene el título de magister. Defiende su segunda tesis, De humanae mentis apatheia seu sentionis ac facultatis sentiendi in mente humana absentia et earum in corpore nostro organico ac vivo praesentia («De la apatía del alma humana por sentir, y de la ausencia de la facultad de sentir en ella, mientras que nuestro organismo vivo posee esas cualidades».)
En 1736, Anton Wilhem Amo se encuentra de vuelta en Halle. Publica allí, en 1738, su Tractatus de arte sobrie et accurate philosophandi (Tratado sobre el arte de filosofar con simplicidad y precisión).
Un año más tarde lo encontramos en la universidad de Jena.

En 1747, vuelve a su país de origen, a Axim. Vuelta cuyas razones nos son, por así decirlo, desconocidas, ya que aunque estuviera atado a sus raíces africanas, Amo había pasado casi toda su vida en Alemania.
El cura Grégoire evoca esta vuelta en Sobre la literatura de los negros:

«Después de la muerte del príncipe  de Brunswick, su bienhechor, Amo, presa de una melancolía profunda, resolvió abandonar Europa donde había vivido durante treinta años y volver a su tierra natal, a Axim, en la Costa de Oro. Recibió, en 1753, la visita del sabio viajero y médico  David-Henri Gallandat, que habla de ello en las Memorias de la Academia de Flessingue, de la cual era miembro

Otros autores, entre los cuales Somet, nos dicen que la principal razón de esta partida debió ser el racismo del que era blanco. Explicación no descartable para una sociedad esquizofrénica cuya economía dependía en gran parte de la esclavitud.
Después de Axim, donde vive hasta en 1753, encontramos a Amo en el fuerte negrero de Chama, con toda seguridad prisionero. Este hombre esclarecido se ha vuelto demasiado peligroso para los traficantes de esclavos. Muere allí en 1758.

La obra de Amo Guinea Afer es aún estudiada, sobre todo en las universidades africanas, gracias al primer presidente de Ghana independiente, el panafricanista Kwame Nkrumah, quien escribe en su autobiografía:

« En Estados Unidos descubrí que Amo, un Nzima de Axim, habíia redactado una tesis llamada «Tractatus de arte sobrie et accurate philosophandi… »,  publicada en Halle en 1738. Supe también que una copia de dicha tesis había sido depositada en el British Museum y había pensado en redactar un folleto sobre la obra de este erudito, primero conocido de la Costa de Oro. Llegado a Londres, fui, lleno de expectativa,  al British Museum. Pero, lamentablemente, la tesis de Amo había sido destruida durante un bombardeo de los alemanes en 1941.».

Gran parte de la obra de Amo Guinea Afer está publicada en la actualidad y los investigadores descubren la importancia de este filósofo. Un filósofo que defendía el lado pragmático de su ciencia. Para él  “todo conocimiento, no usado en función de un fin, es inútil, sino en sí mismo, por lo menos en su efecto y por la intención de la que procede.  La utilidad de cada cosa es en efecto juzgada según su objetivo; el objetivo de la filosofía es la conservación y el perfeccionamiento de la especie humana.”

Le feu – El fuego

I am a man / Memphis 1968 - 'I am a man' / Memphis / 1968 -« Je vous demande maintenant de dire ensemble, de lever le poing ensemble : ‘’Je suis quelqu’un !’’, j’ai beau être pauvre, je suis quelqu’un, j’ai beau toucher des aides, je suis quelqu’un quand même. Je suis noir, beau, fier, on me doit du respect ». Jesse Jackson, Festival Wattstax, 1973.

Maints livres et auteurs peuvent nous éclairer sur le drame racial qui embrase actuellement les États-Unis. Des écrivains de la Harlem Renaissance à la prix Nobel Toni Morrison, sans oublier les plus actuels Ta-Nehisi Coates et Colson Whitehead.
Or, je considère que deux essais de James Baldwin, La prochaine fois, le feu et Meurtres à Atlanta, sont incontournables pour cerner ce sujet.

La prochaine fois, le feu (The fire next time), publié en 1962, est composé de deux lettres. La première s’adresse au neveu de l’auteur, James.

« Tu es né là où tu es né et as été confronté avec l’ennemi avec lequel tu as été confronté parce que tu étais noir et pour cette seule raison. Ainsi avait-on fixé, et à jamais  pensait-on,  des bornes  à  ton  ambition.  Tu étais né dans une société qui affirmait avec une précision brutale et de toutes les façons possibles que tu étais une quantité  humaine absolument négligeable. On n’attendait pas de toi que tu aspires à l’excellence. On attendait de toi que tu pactises avec la médiocrité. »

Certains paragraphes de cette lettre, aussi actuels qu’il y a 58 ans, semblent avoir pour destinataires tous les laissés pour compte de la terre, et pas seulement les Afro Américains.

« Dans le cas particulier, le risque, aux yeux de la plupart des Américains blancs, c’est la perte de leur identité.
Essaie  d’imaginer tes réactions si tu t’éveillais un matin pour trouver le soleil brillant de tout son éclat au milieu d’un scintillement d’étoiles. Tu aurais peur parce que ceci serait contraire à l’ordre de la Nature. Tout bouleversement dans l’univers nous effraye parce qu’il attaque si profondément notre sens de notre réalité propre. Eh bien, dans le monde des Blancs, le Noir a rempli la fonction d’une étoile fixe, d’un pilier immobile. Il abandonne sa place et le ciel et la terre en tremblent jusque dans leurs fondations. Toi, n’aie pas peur. J’ai dit qu’on voulait te laisser périr dans ton ghetto, périr de ne jamais avoir la possibilité de percer à jour les classifications des Blancs, de ne jamais avoir l’occasion de montrer qui tu étais vraiment. »

La deuxième lettre, « Au pied de la Croix » n’est pas une lettre « à », mais une lettre « de », une « lettre d’une région de mon esprit ». C’est précisément du spirituel dont il nous parle, aussi bien chrétien que musulman. Il est éloigné de l’église où il a même prêché très jeune et les Black Muslims d’Elijah Muhammad n’arrivent point à le convaincre.
Il croit, cependant, que les liens que tisse l’amour peuvent apporter une solution à la guerre raciale et à la haine.
Le regard de Baldwin est toutefois lucide.

« La façon dont furent traités les Noirs pendant la Deuxième Guerre mondiale marque à mes yeux un tournant des relations des Noirs avec les États-Unis. Très brièvement et un peu trop simplement pourrait-on dire qu’une certaine espérance est morte, qu’un certain respect pour les Américains blancs a disparu. On commença à avoir pitié d’eux, ou à les haïr. Il faut se mettre dans la peau d’un homme qui porte l’uniforme de son pays, est très susceptible de mourir pour sa défense et qui se fait traiter de « NIGGER » par ses compagnons d’armes ou ses officiers ; à qui reviennent presque toujours les tâches les plus pénibles, les plus répugnantes, les plus basses ; qui sait que le G.I. blanc a fait savoir aux Européens qu’il n’est qu’un être inférieur – autant pour la sécurité sexuelle de l’homme américain – qui ne danse pas dans les Foyers du Soldat le soir où les soldats blancs y dansent et qui ne boit pas dans les bars où boivent les soldats blancs, et qui voit les prisonniers de guerre allemands traités par les Américains avec plus d’égards que lui-même n’en a jamais reçu. Et qui en même temps, en tant qu’être humain, se sent beaucoup plus libre qu’il ne lui avait jamais été donné de pouvoir le faire CHEZ LUI. Ces mots même commencent à sonner d’une façon diabolique et désespérée. Considérez ce qui arrive à ce citoyen, après tout ce par quoi il est passé lorsqu’il revient chez lui. Mettez-vous dans sa peau tandis qu’il cherche du travail, un appartement, mettez-vous à sa place dans les autobus où est appliquée la ségrégation, voyez avec ses yeux les écriteaux indiquant « blancs » et « de couleur » et en particulier ceux qui indiquent ‘’DAMES Blanches’’  et ‘’FEMMES de couleur’’. »

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L’écrivain affirme dans ce court volume que si certains hommes continuent à se croire des droits sur d’autres en raison de la couleur de leur peau ou de leurs origines, la prochaine fois, ce sera le feu.
Et ce fut le feu. En 1965, à Los Angeles, en 1967 à Detroit et, en 1968, suite à l’assassinat de Martin Luther King, des émeutes éclatèrent, tout d’abord à Memphis, scène du crime, puis dans tout le pays.
Et cette violence ne s’arrêtera pas, ni même après l’élection du premier président noir des EU, Barak Obama.

Meurtres à Atlanta, traduction racoleuse de  The Evidence of Things Not Seen, (L’évidence des choses non vues), fut publié en 1985. Le magazine Playboy proposa alors à Baldwin, qui habitait en France, « d’aller à Atlanta rédiger un article sur les disparitions et les meurtres d’enfants qui s’y sont produits »

« La mémoire fait irruption sur la scène de la vie – pour de vrai – au moment où la vie finit. Apparaissant enfin comme une sorte de guide vers une condition d’existence qui la dépasse et qui dépasse l’imagination.
Quel rapport avec les enfants disparus et assassinés d’Atlanta ? Ceci : personne ne souhaite être plongé, tête la première, dans le torrent de ce que sa mémoire refuse de reconnaître. Et les meurtres d’Atlanta en Géorgie nous y plongent. Comme ils nous rappellent que nous sommes tous, ici-bas, des candidats au massacre des innocents. Ils nous rappellent que tous les survivants, qu’ils le reconnaissent ou non, doivent porter le poids de la culpabilité de celui qui a survécu. Quant à moi, ils me rappellent que j’ai été un enfant noir dans un pays blanc », affirme Baldwin dans son introduction.

« Juin 1981 : vingt-huit cadavres d’enfants ont été retrouvés depuis le premier meurtre de la « série », vingt-deux mois plus tôt. C’est alors que Wayne Williams, alors âgé de vingt-trois ans, est arrêté pour meurtre. Il est noir, c’est important parce que la municipalité est noire et que toutes les victimes sont noires.
Il est également important de noter que Wayne n’a pas été inculpé de l’ensemble des vingt-huit meurtres, mais seulement des deux derniers : ceux de Jimmy Ray Payne et Nathaniel Cater.
Payne et Cater n’étaient pas des enfants mais des adultes – le fait qu’ils puissent avoir été alcooliques ou « demeurés » importe peu : de toute façon, dans les bas-fonds de la misère et du désespoir, il est difficile de déterminer qui est « demeuré ». J’ai entendu l’argument selon lequel, parce qu’ils étaient « demeurés », ils avaient été perçus par l’assassin comme des enfants. Cet argument m’a paru peu convaincant. »

Dès les premières pages, Baldwin est très clair, il n’est pas là pour établir, ou non, la culpabilité de Wayne Williams.
Il analyse la situation dans le cadre du pays.

« Dans cette affaire, toutefois, et conformément aux réalités concrètes de la vie aux États dits « unis », les enfants disparus et assassinés ont été agressés selon des critères de couleur et de condition sociale : ils étaient noirs – une malédiction dans cette démocratie – et pauvres, une condition que la morale dominante du travail et de la compétition condamne avec une cruauté sans pareille. »

Les rouages du système se mettent alors en marche, y compris ceux de la justice, une justice esclave de ce même système. On trouve un coupable, Wayne Williams, accusé du meurtre de deux vagabonds noirs. On met alors sur son dos les 28 crimes d’enfants. Les preuves ? Elles sont superflues du moment qu’on évitera les débordements et même les révoltes.
Baldwin démonte un à un les arguments du Procureur.

« D’un point de vue judiciaire, il est accusé de deux assassinats. Et pourtant, il est présumé coupable de vingt-huit meurtres, pour lesquels il est jugé sans être inculpé ! Car le ministère public soutient qu’il y a une « série », un « ensemble de faits concordants » communs à tous les meurtres d’enfants, et que, si Wayne Williams est reconnu coupable des deux crimes, le « lien » sera établi avec les vingt-huit autres.
Cette conception byzantine de la justice apparaîtra aux yeux du profane – sans parler de l’accusé lui-même – comme une innovation tout à fait singulière en matière de droit pénal. De deux choses l’une : ou bien l’accusé est jugé pour trente meurtres, ou bien il est jugé pour deux. »

Trente-cinq ans plus tard, combien de policiers accusés d’assassiner de jeunes Noirs, sont acquittés par cette même justice ?
Trente-cinq ans plus tard, avec à la tête du pays un sympathisant du suprématisme blanc, après l’assassinat de George Floyd par un policier, le feu est là. Et le feu  s’étend hors des frontières des États-Unis, dans des pays au racisme moins franc mais tout aussi mortifère comme le Royaume Uni ou la France.

Je pense au discours prononcé en 2007 par le président Sarkozy qui affirmait que  «l’homme africain n’est pas assez entré dans l’Histoire » et à une phrase de Meurtres à Atlanta :

« Elle (l’histoire) est un hymne aux Blancs, écrit par des Blancs. Nous autres, tous les autres, avons été découverts par les Blancs qui détiennent le droit de nous laisser entrer ou non dans l’histoire

Le travail de réécriture de l’histoire, qui a déjà commencé, est indispensable, aussi bien dans les pays anciennement colonisés que chez ceux qui les colonisèrent.

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« Les pido ahora decir juntos, levantar el puño juntos: ‘’ ¡Soy alguien!’’, por más que sea pobre, soy alguien, por más que cobre ayudas, de todos modos soy alguien. Soy negro, bello, orgulloso, me deben respeto ». Jesse Jackson, Festival Wattstax, 1973.

Muchos libros y autores pueden esclarecernos sobre el drama racial que incendia actualmente los Estados Unidos. De los escritores  de la Harlem Renaissance a la premio Nobel Toni Morrison, sin olvidar a los más actuales, Ta-Nehisi Coates et Colson Whitehead.
Considero, empero, que dos ensayos de James Baldwin, La próxima vez, el fuego y La evidencia de las cosas no vistas, son  ineludibles para analizar este tema.

La próxima vez, el fuego (The fire next time), publicado en 1962, está compuesto por dos cartas. La primera se dirige al sobrino del autor, James.

Naciste allí donde naciste y fuiste enfrentado al enemigo con el que te enfrentaste porque eras negro y por esa única razón.   Así se habían fijado, y se pensaba que para siempre, los límites de tu ambición.   Habías nacido en una sociedad que afirmaba con una precisión brutal y de todas las maneras posibles que eras una cantidad humana absolutamente descartable.  No se esperaba de vos que aspiraras a la excelencia. Se esperaba de vos que pactaras con la mediocridad.”

Ciertos párrafos de esta carta, tan actuales como hace 58 años, parecen tener como destinatarios a todos los dejados de lado de la tierra, y no sólo a los afro americanos.

« En el caso particular, el riesgo, ante los ojos de la mayoría de los norteamericanos blancos, es la pérdida de su identidad.
Tratá de imaginar tus reacciones si te despertaras una mañana y encontraras al sol brillando con toda su fuerza en medio de un centelleo de estrellas. Tendrías miedo porque esto sería contrario al orden de la Naturaleza. Cualquier conmoción en el universo nos asusta porque ataca tan profundamente nuestro propio sentido de la realidad. Y bien, en el mundo de los blancos, el negro ocupó la función de una estrella fija, de un pilar inmóvil. Abandona su lugar y el cielo y la tierra tiemblan hasta sus fundamentos. Vos no tengas miedo. Te dije que querían dejarte perecer en tu  gueto, perecer por nunca tener la posibilidad de descubrir la clasificación de los blancos, de nunca tener la oportunidad de mostrar quien eras realmente ».

La segunda carta ‘’Al pie de la Cruz’’ no es una carta ‘’a’’ sino una carta ‘’de’’, una ‘’carta de una región de mi espíritu’’. Nos habla precisamente de lo espiritual, tanto cristiano como musulmán. Se ha alejado de la iglesia en la que llegó, muy joven, a predicar y los Black Muslims de Elijah Muhammad no llegan a convencerlo.
Cree, sin embargo, que los lazos que teje el amor pueden traer una solución a la guerra racial y al odio.
La mirada de Baldwin es sin embargo lúcida.

« La manera de tratar a los negros durante la Segunda Guerra Mundial marca para mí un cambio en las relaciones de los negros en los Estados Unidos. Muy brevemente y un poco demasiado simplemente, se podría decir que murió cierta esperanza, que desapareció cierto respeto hacia los norteamericanos blancos. Comenzaron a tenerles lástima, o a odiarlos. Hay que ponerse en el lugar de un hombre que lleva el uniforme de su país, que es muy susceptible de morir por su defensa y que se hacer llamar « NIGGER » por sus compañeros de armas o sus oficiales ; sobre quien recaen casi siempre las tareas más penosas, más repugnantes, más bajas ; que sabe que el G.I. blanco le hizo saber a los europeos que sólo es un ser inferior –tanto por la seguridad sexual del hombre norteamericano- que no baila en los Hogares del Soldado las noches en que bailan allí los soldados blancos y que no bebe en los bares donde beben  los soldados blancos, y que ve a prisioneros de guerra alemanes tratados por los norteamericanos como más cuidados que los que él nunca recibió.  Y que, al mismo tiempo, como ser humano, se siente mucho más libre de lo que nunca le fue dado hacerlo EN CASA. Estas mismas palabras comienzan a sonar de manera diabólica y desesperada. Consideren lo que le ocurre a este ciudadano, después de todo lo que pasó, cuando vuelve a casa. Pónganse en su lugar mientras busca trabajo, un departamento, pónganse en su lugar en los ómnibus en los que se aplica la segregación, miren con sus ojos los carteles que indican ‘’blancos’’ y ‘’de color’’ y particularmente los que indican ‘’SEÑORAS blancas’’ y ‘’MUJERES de color’’. »

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El escritor afirma en este corto volumen que si ciertos hombres siguen creyendo tener derechos sobre otros en razón del color de su piel o de sus orígenes, la próxima vez será el fuego.
Y fue el fuego. En 1965, en Los Angeles, en 1967 en Detroit y, en 1968, después del asesinato de Martin Luther King, estallaron revueltas, en principio en Memphis, escenario del crimen, y luego en todo el país.
Y esta violencia no se detendrá, ni aún después de la elección del primer presidente negro de EEUU, Barak Obama.

The Evidence of Things Not Seen, (La evidencia de las cosas no vistas), fue publicado en 1985. La revista Playboy propuso entonces a Baldwin, que vivía en Francia, «ir a Atlanta a redactar un artículo sobre las desapariciones y los asesinatos de niños que allí se produjeron. »

« La memoria irrumpe en la escena de la vida –en verdad-  en el momento en que termina la vida. Apareciendo por fin como una suerte de guía hacia una condición de existencia que la sobrepasa y que sobrepasa la imaginación.
¿Qué relación con los niños desaparecidos y asesinados en Atlanta? Esto: nadie desea hundirse de cabeza en el torrente de lo que la memoria se niega a reconocer. Y los asesinatos de Atlanta, en Georgia, nos hunden en ello. Como nos recuerdan que todos nosotros somos, en este bajo mundo, candidatos a la masacre de los inocentes. Nos recuerdan que todos los sobrevivientes, que lo reconozcan o no, deben cargar con el peso de la culpabilidad del que ha sobrevivido. En lo que a mí respecta, me recuerdan que fui un niño negro en un país blanco», afirma Baldwin en su introducción.

« Junio de 1981: veintiocho cadáveres de niños fueron descubiertos después del primer asesinato de la ‘’serie’’, veintidós meses antes. Wayne Williams, por entonces de veintitrés años, es detenido por asesinato, es negro, es importante porque la municipalidad es negra y todas las víctimas son negras.

Es igualmente importante notar que Wayne no fue inculpado por el total de veintiocho crímenes, pero sólo por los dos últimos: los de Jimmy Ray Payne y Nathaniel Cater.
Payne y Cater no eran niños sino adultos –el hecho de que puedan haber sido alcohólicos o ‘’retardados’’ importa poco: de todos modos, en los bajo fondos de la miseria y la desesperación, es difícil determinar quién es ‘’retardado’’. Oí el argumento según el cual, porque eran ‘’retardados’’, habían sido percibidos por el asesino como niños. Este argumento me pareció poco convincente

Ya en las primeras páginas, Baldwin es muy claro, no está allí para establecer, o no, la culpabilidad de Wayne Williams.
Analiza la situación en el marco del país.

«En este asunto, sin embargo, y conforme a las realidades concretas de la vida en los Estados llamados ‘’unidos’’, los niños desaparecidos y asesinados han sido agredidos según criterios de color y de condición social: eran negros –una maldición en esta democracia- y pobres, una condición que la moral dominante del trabajo y de la competencia condena con una crueldad sin igual.»

Los engranajes del sistema se ponen entonces en marcha, incluidos los de la justicia, una justicia esclava de este mismo sistema. Encuentran un culpable, Wayne Williams, acusado del asesinato de dos vagabundos negros. Cargan entonces a su cuenta  los 28 crímenes de niños. ¿Las pruebas? Son superfluas ya que van a evitar los desbordes y aún las revueltas.
Baldwin desmonta uno por uno los argumentos del procurador.

« Desde un punto de vista jurídico, lo acusan de dos asesinatos. Y sin embargo, es el presunto culpable de 28 crímenes, ¡por los cuales se lo juzga sin inculparlo! Porque el ministerio público sostiene que hay una ‘’serie’’, un ‘’conjunto de hechos concordantes’’  comunes a todos los asesinatos de niños y que, si Wayne Williams es reconocido culpable de los  dos crímenes, se establecerá la ‘’relación’’ con los otros 28

Este concepto bizantino de la justicia aparecerá ante los ojos del profano –sin hablar del acusado mismo- como una muy singular innovación en materia de derecho penal. Una de dos: o bien el acusado es juzgado por treinta asesinatos, o bien se lo juzga por dos.»

Treintaicinco años más tarde, ¿cuántos policías acusados de asesinar jóvenes negros han sido absueltos por esta misma justicia?
Treintaicinco años más tarde, con, a la cabeza del país un simpatizante del supremacismo blanco, después del asesinato de George Floyd por un policía, el fuego está allí. Y el fuego se extiende fuera de las fronteras de los Estados Unidos, en países en los que el racismo menos franco pero tan mortal como el Reino Unido o Francia.

Pienso en el discurso pronunciado en 2007 por el presidente Sarkozy quien afirmaba que  «el hombre africano no había entrado lo suficiente en la Historia» y en una frase de La evidencia de las cosas no vistas:

« Ella (la historia) es un himno a los blancos, escrito por los blancos. Nosotros, todos los otros, fuimos descubiertos por los blancos que se abrogan el derecho de dejarnos entrar o no en la historia

El trabajo de reescritura de la historia, que ya comenzó, es indispensable, tanto en los países antiguamente colonizados como en aquellos que colonizaron.

LA CAPITANA

maría-remedios-del-valle.14 de noviembre de 1813. Batalla de Ayohuma.
El ejército del Norte comandado por el general Belgrano lucha encarnizadamente contra los realistas. Varias mujeres forman parte de la tropa criolla, son enfermeras, llevan agua a los combatientes y no dudan en enfrentar a los enemigos con sus armas. Una de ellas, una parda como se decía entonces, llama la atención por su coraje.
Los españoles derrotan a Belgrano. La capitana negra es hecha prisionera.
En el campo donde la retienen ayuda a escapar a varios oficiales patriotas. Por ello, los españoles la condenan a 9 días de azotes.
Logra finalmente huir y se une al ejército de Güemes, en el que empuña las armas y se desempeña  como enfermera.

¿Quién era esta afro descendiente que sus compañeros de armas habían apodado “la capitana” o “la madre de la patria”?
Se llamaba María Remedios del Valle. Descendía de esclavos y había nacido en Buenos Aires entre 1766 y 1767.
En 1807 se había destacado como enfermera en la lucha contra el invasor inglés, mientras que su marido formaba parte del Batallón de las Castas, formado por indios, pardos y morenos.
Después de la Revolución de 1810 ambos, junto a sus dos hijos, integraron el ejército del Norte.
Cuando, en 1812, Manuel Belgrano se pone al mando de este ejército, trata de impedir que las mujeres participen de los combates. La actuación destacada de María Remedios lo disuade. La nombra capitana.
Su marido y sus hijos mueren en combate. Tras la derrota de Ayohuma es entonces  hecha prisionera del ejército español y logra huir,  escapando por poco del fusilamiento.
Se alista en el ejército de Güemes, combatiendo aguerridamente durante lo que se llamó la Guerra Gaucha.

Hacia 1825 regresa a Buenos Aires. Los años de combate, las heridas, los latigazos,    pesan sobre su cuerpo. Se instala en un rancho en las afueras de la ciudad. Al no recibir ninguna remuneración por los años pasados en los ejércitos de la independencia se ve obligada a mendigar en la Plaza Mayor y en la Recova. Cuando muestra sus cicatrices y dice a los curiosos que era capitana del ejército, la toman por demente.
En 1827, María Remedios del Valle, que mendigaba según su costumbre en la Recova, se topa con el general Juan José Viamonte, que había luchado con ella en el Alto Perú. Viamonte decide ayudarla a obtener una pensión. No obtiene ninguna respuesta.
Vuelve a insistir en 1828:

“Yo conocí a esta mujer en el Alto Perú y la reconozco ahora aquí, cuando vive pidiendo limosna. Esta mujer es realmente una benemérita. Ella ha seguido al Ejército de la Patria desde el año 1810. Es conocida desde el primer general hasta el último oficial en todo el Ejército. Es bien digna de ser atendida: presenta su cuerpo lleno de heridas de balas y lleno, además, de cicatrices de azotes recibidos de los españoles. No se la debe dejar pedir limosna […] Después de haber dicho esto, creo que no habrá necesidad de más documentos,” dice ante la Asamblea.

Tomás de Anchorena apoya su pedido:

“Efectivamente, esta es una mujer singular. Yo me hallaba de secretario del general Belgrano cuando esta mujer estaba en el ejército, y no había acción en la que ella pudiera tomar parte que no la tomase, y en unos términos que podía ponerse en competencia con el soldado más valiente; era la admiración del general, de los oficiales y de todos cuantos acompañaban al ejército. Ella en medio de ese valor tenía una virtud a toda prueba y presentaré un hecho que la manifiesta: el general Belgrano, creo que ha sido el general más riguroso, no permitió que siguiese ninguna mujer al ejército; y esta María Remedios del Valle era la única que tenía facultad para seguirlo.”

Estas palabras conmovedoras sólo obtuvieron que los diputados votaran una pensión de 30 pesos por mes para María Remedios del Valle. Un peso por día cuando una libra de carne costaba 2 pesos.
Dos años más tarde, el gobernador Juan Manuel de Rosas la integra, con el grado de sargento mayor, a la plana de retirados del ejército.
María Remedios, en agradecimiento,  decide tomar el apellido de Rosas.

La historia de María me hace pensar que era una liberta, hija de esclavos. Los esclavos llevaban generalmente el apellido de sus amos, lo que indicaba que pertenecían a tal o cual familia. María Remedios tomó el nombre de Rosas, a mi entender,  para mostrar su agradecimiento hacia el restaurador, siguiendo, y trasformando, esta costumbre.
La Madre de la Patria murió en 1847.

Su memoria se perdió en las brumas de una Argentina que, sobre todo desde 1880, quiso ser “el país europeo de América Latina”. Un país sin negros, como se suele decir aún ahora. Un país donde “negro” es un término peyorativo.
Un país que, al cumplir 200 años de vida independiente, comienza a descubrir que también tiene raíces africanas.
La memoria de María Remedios del Valle merece ser venerada al igual que la de los otros héroes de la Independencia.

Fuentes

https://www.elhistoriador.com.ar/maria-remedios-del-valle/
https://www.periodicovas.com/maria-remedios-del-valle-la-capitana-o-la-madre-de-la-patria/

unnamed (9)14 novembre 1813. Bataille de Ayohuma.
L’armée du Nord aux ordres du général Belgrano lutte avec acharnement contre les royalistes. Plusieurs femmes Font partie de la troupe créole, elles sont infirmières, elles apportent de l’eau aux combattants et n’hésitent pas à affronter l’ennemi avec leurs armes. L’une d’entre elles, une parda (mulâtre) comme on disait alors, attire l’attention par son courage.
Les Espagnols vainquent Belgrano. La capitaine noire est faite prisonnière.
Dans le camp où on la retient elle aide plusieurs officiers patriotes à s’échapper. Les Espagnols la condamnent pour cela à être fouettée  9 jours durant.
Elle réussit finalement à fuir et joint l’armée de Güemes, où elle prend les armes et accomplit des fonctions d’infirmière.

Qui était cette afro descendante que ses frères d’armes appelaient “la capitaine” ou “la mère de la Patrie” ?
Elle se nommait  María Remedios del Valle. Elle descendait d’esclaves et était née à Buenos Aires entre 1766 et 1767.
En 1807, elle s’était fait remarquer comme infirmière dans la lutte contre l’envahisseur anglais, tandis que son mari faisait partie du Bataillon des Castes, formé par des Indiens,  des Mulâtres et des Noirs.
Après la Révolution de 1810, tous deux avec leurs deux fils, intégrèrent l’Armée  du Nord.
Quand, en 1812, Manuel Belgrano se met à la tête de cette armée, il essaie d’empêcher les femmes de participer des combats. Les actions remarquables de María Remedios l’en dissuade. Il la nomme capitaine.
Son mari et ses fils meurent au combat. Après la défaite de Ayohuma, elle est faite prisonnière par l’armée espagnole et parvient à fuir, échappant de peu à la peine de mort.
Elle s’enrôle dans l’armée de Güemes et combat bravement durant ce qu’on appela la Guerra Gaucha.

Vers 1825 elle rentre Buenos Aires. Les années de combat, les blessures, les coups de fouet pèsent sur son corps. Elle s’installe dans une pauvre chaumière aux alentours de la ville. Ne recevant aucune rémunération pour les années passées dans les armées de l’indépendance, elle est obligée à mendier dans la Plaza Mayor et au marché de la Recova. Quand elle montre ses cicatrices et dit aux curieux qu’elle était capitaine de l’armée, ils la prennent pour une folle.
En 1827, María Remedios del Valle, qui mendiait selon son habitude à la Recova, se trouve avec le général Juan José Viamonte, qui avait combattu avec elle à l’Alto Perú. Viamonte décide de l’aider à obtenir une pension. Il ne reçoit aucune réponse.
Il insiste en 1828:

“J’ai connu cette femme à l’Alto Perú et je la reconnais maintenant icii, quand elle vit de l’aumône. Cette femme est vraiment digne d’honneur. Elle a suivi l’Armée de la Patrie depuis 1810. Elle est connue du premier général comme du dernier officier de toute l’Armée. Elle est bien digne d’être soignée: elle présente son corps plein de blessures de balles et plein, en outre, des blessures des coups d fouet reçus des Espagnols. On ne doit pas la laisser demander l’aumône. (…) Après avoir dit ceci je crois que plus de documents ne sont pas nécessaires » dit-il devant l’Assemblée.

Tomás de Anchorena soutient sa demande:

“Effectivement, il s’agit d’une femme singulière. J’étais secrétaire du général Belgrano quand cette femme était dans l’armée, et elle prenait  part de toutes les actions qu’elle pouvait, et d’une manière qu’elle pouvait entrer en concurrence avec le soldat le plus courageux ; elle faisait l’admiration du général, des officiers et de tous ceux qui accompagnaient l’armée. Elle possédait avec cette valeur une vertu à toute épreuve et je présenterai un fait qui le montre: le général, qui était le général le plus rigoureux, je crois, ne permit qu’aucune femme suivit l’armée, et cette María Remedios del Valle était la seule qui avait la permission de le suivre. »

Ces mots émouvants n’eurent comme résultat que le vote des députés d’une pension de 30 pesos par mois pour María Remedios del Valle. Un peso par jour quand une livre de viande en valait deux.
Deux ans plus tard, le gouverneur  Juan Manuel de Rosas l’intègre, avec le grade de sergent major, aux retraitées de l’armée.
En remerciement, María Remedios décide de prendre le nom de Rosas.
L’histoire de María me fait penser qu’il s’agissait d’une affranchie, fille d’esclaves. Les esclaves portaient généralement le nom de leurs maîtres, ce qui indiquait qu’ils appartenaient à telle ou telle famille. María Remedios prit le nom de Rosas, à mon avis, pour montrer sa reconnaissance envers le restaurateur, continuant, et détournant, cette habitude.
La Mère de la Patrie mourut en 1847.

Sa mémoire se perdit dans les brumes d’une Argentine qui, surtout après 1880,  voulut être « le pays européen d’Amérique latine ». Un pays sans Noirs, comme on arrive à le dire encore aujourd’hui.  Un pays où “Noir” est un terme péjoratif.
Un pays qui, à ses 200 ans de vie indépendante, commence à découvrir qu’il a aussi des racines africaines.
La mémoire de María Remedios del Valle mérite d’être vénérée aussi bien que celle des autres héros de l’Indépendance.

OTA BENGA

el-pigmeo-congoleno-ota-benga-fue-exhibido-en-la-sociedad-zoologica-de-nueva-york-library-of-congress1906. Un panneau, placé devant la Monkey House, la cage aux singes, du zoo du Bronx, à New York, indique :

« Le pygmée africain, Ota Benga. Âge : 23 ans. Taille : 4 pieds 11 pouces (1,50 m). Poids : 103 livres (46,7 kg). Amené depuis la rivière Kasaï, État indépendant du Congo, au sud de l’Afrique centrale, par le Dr Samuel P. Verner. Exposé tous les après-midi en septembre. »

Dans la cage, un jeune homme noir, de petite taille, nous fixe d’un regard éteint. Il soulève un orang outan, le prend dans ses bras, le repose par terre.
Devant la cage, le public se presse. Femmes, hommes, enfants regardent avec une certaine gourmandise le sauvage aux yeux tristes.

Mbye Otabenga est un Pygmée Mbuti vivant dans la forêt vierge du Congo du roi assassin Léopold II. Un jour, la Force Publique, la police du colonisateur, met son village à feu et à sang, tuant sa femme et ses deux enfants. Quand il revient de la chasse, il est fait prisonnier.
En ces temps où certains missionnaires alertent l’opinion publique sur les exactions des Belges au Congo, un pasteur, Samuel P. Verner, avec le soutien des autorités et sous couvert d’anthropologie, fait le commerce d’objets africains, ivoire, statuettes… Il se lance, en cette année 1904 dans le commerce d’êtres humains. Dans ce cas, cinq Pygmées, dont Ota Benga, qu’il va présenter à l’Exposition internationale de Saint-Louis.
Ce ne sont d’ailleurs pas, loin de là, les seuls « sauvages » exposés à Saint-Louis.  On peut y admirer des Aïnous du Japon, des Fuégiens de la Terre de Feu, des Philippins et même le chef apache Geronimo.
Précisons qu’à ces débuts du XXe siècle, la mode est aux zoos humains. On exhibe des êtres humains, catalogués « sauvages », dans toutes les grandes villes occidentales. Présenter des hommes et des femmes provenant des colonies en situation d’infériorité, base des théories racistes, permet de justifier face au grand public, la mainmise de l’Europe sur l’Afrique, l’Asie et tant d’autres régions.
D’un autre côté, le système colonial s’évertue à convaincre les colonisés de leur infériorité.
C’est ce qui arrive à Ota Benga en 1905. Après les avoir présentés aussi bien dans des foires que dans des amphithéâtres universitaires, le pasteur Verner ramène les cinq Pygmées au Congo.
Ota essaie de réintégrer le monde de ses origines. Il prend femme mais celle-ci meurt mordue par un serpent. L’accusant de sorcellerie, la tribu banni le jeune Pygmée.
Il supplie alors le pasteur de le ramener aux États-Unis.
Il n’appartient ni à la forêt congolaise ni au monde occidental.
Un homme de nulle part qui,  après un bref séjour au Musée d’histoire naturelle de New York, se retrouve enfermé dans une cage au zoo du Bronx. Il tire à l’arc, montre au public ébahi ses dents pointues. La foule se forme devant la cage. On parle même de 40 000 personnes.
Une vingtaine de jours après cette installation, des pasteurs afro américains, portent plainte pour faire cesser cette injustice.
Jusqu’en 1910, Ota Benga est placé dans de différents orphelinats où il apprend à lire et écrire. Il déménage ensuite à Lynchburg, en Virginie.
Il y habite chez le pasteur Hayes. On peut croire qu’il s’intègre, il apprend l’anglais, il trouve du travail dans une usine de tabac…
Or, l’idée du retour dans sa forêt du Congo reste ancrée en lui.
Il se rend compte qu’aussi bien ses finances que la guerre mondiale empêcheront le voyage rêvé.

Le 20 mars 1916, à l’âge de 33 ans, Ota Benga vole un revolver, le pointe sur sa poitrine, une balle traverse son cœur qui n’a plus aucune raison de battre.

Plus d’un siècle s’est écoulé depuis la mort tragique d’Ota Benga. Dans le monde entier, la couleur de votre peau, vos croyances, votre orientation sexuelle suffit à vous bannir de la société.
Depuis plus d’un siècle donc, le chemin parcouru ne fut pas très long. L’histoire, la vraie, doit nous aider à avancer.

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1906. Un cartel, ubicado delante de la Monkey House, la jaula de los monos, del zoológico del Bronx, en Nueva York, indica:

«El pigmeo africano,   Ota Benga. Edad: 23 años. Estatura: 4 pies 11 pulgadas (1,50 m). Peso: 103 libras (46,7 kg). Traído desde el río Kasai, Estado independiente del Congo, en el Sur de África Central, por el Dr Samuel P. Verner. Expuesto todas las tardes de septiembre. »

En la jaula, un hombre joven, de poca estatura, nos observa con una mirada apagada. Levanta a un orangután, lo toma en sus brazos, lo vuelve al piso.
Ante la jaula, el público se agolpa. Mujeres, hombres, niños miran con una cierta glotonería al salvaje de ojos tristes.

Mbye Otabenga es un pigmeo que vive en la selva del Congo del rey asesino Leopoldo II. Un día, la Fuerza Pública, la policía del colonizador, ataca su poblado a sangre y fuego, matando a su mujer y a sus dos hijos. Cuando vuelve de cazar, es hecho prisionero.
En esos tiempos en que algunos misioneros alertaban a la opinión pública sobre las exacciones de los belgas en el Congo, un pastor,  Samuel P. Verner, con el apoyo de las autoridades y con la excusa de la antropología, comercia objetos africanos, marfil, estatuillas… Se lanza, en ese año 1904, en el comercio de seres humanos. En este caso cinco  pigmeos, entre los cuales Ota Benga, que va a presentar en la Exposición Internacional de Saint Louis.
No son, por otra parte, y lejos de ello, los únicos «salvajes» expuestos en Saint Louis. Se pueden admirar ainus de Japón, fueguinos de Tierra del Fuego, filipinos y aún, a Gerónimo, el jefe apache.
Precisemos que en estos comienzos del siglo XX, la moda son los zoos humanos. Se exhiben seres humanos, catalogados como «salvajes», en todas las grandes ciudades occidentales. Presentar hombres y mujeres provenientes de las colonias en situación de inferioridad, base de las teorías racistas, permite justificar frente al gran público la dominación de Europa sobre África, Asia y tantas otras regiones.
Por otro lado, el sistema colonial se esfuerza en convencer a los colonizados de su inferioridad.
Es lo que le ocurre a Ota Benga en 1905. Después de haberlos presentado tanto en ferias como en anfiteatros universitarios, el pastor Verner lleva a los cinco pigmeos de vuelta al Congo.
Ota trata de reintegrarse al mundo de sus orígenes. Toma mujer pero esta muere mordida or una serpiente. Acusándolo de brujería, la tribu destierra al joven pigmeo.
Suplica entonces al pastor de llevarlo de vuelta a Estados Unidos.
No pertenece ni a la selva congoleña ni al mundo occidental.
Un hombre de ninguna parte que, después de una breve estadía en el Museo de Historia Natural de Nueva York, se encuentra encerrado en una jaula del zoo del Bronx. Tira con su arco, muestra al público asombrado sus dientes puntiagudos. Se forma una multitud delante de la jaula. Se habla aún de 40.000 personas.
Una veintena de días después de esta instalación, pastores afroamericanos realizan una denuncia para hacer cesar esta injusticia
Hasta 1910 Ota Benga es alojado en diferentes orfelinatos donde aprende a leer y escribir. Se muda luego a Lynchburg, en Virginia.
Vive en lo del pastor Hayes. Se puede pensar que se integra, aprende inglés, consigue trabajo en una fábrica de tabaco…
La idea, empero, de volver a su selva del Congo sigue anclada en él.
Se da cuenta de que tanto sus finanzas como la guerra mundial impedirán el viaje soñado.
El 20 de marzo de 1916, a los 33 años, Ota Benga roba un revólver, lo apunta a su pecho, una bala atraviesa su corazón que ya no tiene ninguna razón para latir.

Más de un siglo ha pasado desde la muerte trágica de Ota Benga. En todo el mundo, el color de nuestra piel, nuestras creencias, nuestra orientación sexual bastan para desterrarnos de la sociedad.
Desde hace más de un siglo, entonces, el camino recorrido no fue muy largo. La historia, la verdadera, debe ayudarnos a avanzar.

HAROLDO CONTI – LA BALADA DEL ÁLAMO CAROLINA

Su voz (la de Haroldo Conti) dice palabras de mucha hermosura, cuando él se pone a contar, la memoria corre con tanta inocencia y libertad, que uno la siente capaz de saltearse para siempre el día de la muerte.” Eduardo Galeano

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Estos tiempos de cuarentena, de confinamiento, estricto en mi caso en razón de mi edad y de la debilidad de mis pulmones, son tiempos de relectura, ese placer tan particular de volver a navegar en aguas que no por conocidas no dejan de reservarnos nuevas sorpresas y encandilamientos.
Hoy vuelvo a leer La balada del álamo carolina de Haroldo Conti, gran escritor argentino asesinado por la sangrienta dictadura militar en mayo de 1976.
Conti fue asesinado por humanista. Para los regímenes autoritarios y reaccionarios, los humanistas parecen ser mucho más peligrosos que los violentos.
Descubrí a este autor a fines de los años 60 cuando leí su novela Alrededor de la jaula. La poesía de esta novela de iniciación, una poesía con los pies bien plantados en el barro, me conmovió durablemente.

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Hoy tengo en mis manos la edición de Página12, años 90, de La balada del álamo carolina, publicado originalmente en 1975.
Conti vuelve aquí al paisaje de su infancia y su adolescencia, Chacabuco, en la provincia de Buenos Aires.
La escritura regionalista, pero de alcance universal, está emparentada con la de Roberto Arlt y Horacio Quiroga. Ciertos personajes, como el enamorado y tímido señor Pelice y la señorita Haydée, podrían ser los de un cuento de Maupassant.

El cuento que da título al libro, un bello ejemplo del arte de Haroldo Conti, nos muestra el paisaje, y aún la vida, en ese rincón agreste de la provincia desde la perspectiva del árbol, tótem protector de una manera de vivir.

“Uno piensa que los días de un árbol son todos iguales. Sobre todo si es un árbol viejo. No. Un día de un viejo árbol es un día del mundo.
Este álamo Carolina nació aquí mismo, exactamente, aun­que el álamo Carolina, por lo que se sabe, viene mediante estaca y éste creció solo, asomó un día sobre esta tierra entre los pastos duros que la cubren como una pelambre, un pastito más, un miserable pastito expuesto a los vientos y al sol y a los bichos.
Y él creyó, por un tiempo, que no iba a ser más que eso hasta que un día notó que sobrepasaba los pastos y cuando el sol vino más fuerte y templó la tierra se hinchó por dentro y se puso rígido y sentía una gran atracción por las alturas, por trepar en dirección al cielo, y hasta sintió que había dentro de él como un camino, aunque todavía no supiese lo que era eso, lo supo recién al año siguiente cuando los pastos quedaron todavía más abajo y detrás de los pastos vio un alambrado y detrás del alambrado vio el camino, que es una especie de árbol recostado sobre la tierra con una rama aquí y otra allá, igual de secas y rugosas en el invierno y que florecen en las puntas para el verano, pues todas rematan en un mechoncito de árboles verdaderos. (…)
Fue en este verano, cuando el sol estaba bien alto y la sombra era más negra, que el hombre se acercó por fin hasta el árbol. Él lo vio venir a través del campo, negro y preciso sobre el caballo sudoroso. El hombre bajó del caballo y penetró en la sombra. Se quitó el sombrero cubierto de tierra, después de mirar hacia arriba y aspirar el fresco que se descolgaba de las ramas, y se quitó el sudor de la frente con la manga de la camisa.
Después el hombre, que parecía tan viejo como el viejo álamo Carolina, se sentó al pie del árbol y se recostó contra el tronco. Al rato el hombre se durmió y soñó que era un árbol.”

Una manera de vivir a la que vuelve momentáneamente Pedro en Mi madre andaba en la luz. Una manera de vivir simbolizada por la mesa de madera quemada por los cigarros del padre, ya fallecido pero presente, la cocina Carelli donde la madre cocina el puchero de gallina, el baile en el Club Sportivo y Recreativo, a la que vuelve Pedro para volver a los pocos días a la villa miseria porteña donde vive y a la fábrica donde trabaja.

Atravesó la villa saludando a un lado y otro con la valija en la mano y el paquete de la vieja debajo del brazo. El rengo Correa estaba remendando el techo de la casilla mientras la vieja, dentro, gritaba como una condenada, que era su modo de hablar. Se oían varias radios a la vez y, por encima de todo, la voz de queso de Carlitos «Pueblo» Rolan que cantaba ese chiquichá Ahí evita a estosviene la ambulancia.
«Cascote» se puso a ladrar apenas dobló la esquina. Le quitó la cadena y casi lo voltea de puro contento. Le tiró una patada sin intención y saludó a la Beba que había sacado la cabeza llena de ruleros por la ventana de al lado.
Dobló con cuidado la ropa y la metió en el cajón de embalar que usaba como ropero. Después se puso el mameluco y antes de salir contó el puñado de billetes ajados y grasientos que le quedaba encima. Tenía que tirar con eso toda la quincena. Bueno, por lo menos estaba al día con el crédito y ese fin de semana minga de joda. Tal vez podía conseguir una changa.
Volvió a cruzar las vías y trepó al terraplén. Apuró el paso, sin matarse, para alcanzar a los muchachos. Allí iban todos, el Aldo y el Beto y el Rulo, gritando y riendo en dirección a la mole oscura de la Papelera.”

Tranquilamente, sin quejas ni protestas. Lo que da una fuerza mayor al retrato de la injusticia social.
Este tono melancólico, no desprovisto de humor, se transforma, en Devoción y Bibliográficas, en un humor duro y salvador para sus protagonistas, un obrero que fabrica jaulas, enjaulado en una vida matrimonial difícil de soportar, y un novel escritor estafado por un supuesto editor. Un humor casi expresionista que  evita a estos hombres hundirse en el infierno.

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Otros paisajes, también amados por Conti, aparecen en los últimos textos, fluviales y marinos,  argentinos y uruguayos. Son mucho más ejercicios de memoria que cuentos.

Vuelvo a patear las calles vacías y dando un rodeo paso, en este orden, por frente a la casa de doña Miquina, que debe andar por el centenario, según ella gracias al vasito de agua de mar que bebe todas las mañanas y que yo he bebido también con el estruendoso resultado de una cursiadera que casi me mata antes de los cuarenta, frente a la casa de los Legido, trotadores de gigantescas distancias, mis amigos queridos, el Juanea y la Poppy que un día de soles me acompañó hasta el Cabo Polonio con un traje largo y un bolso de petit point nada más que para constatar la frase y firma que estampó su padre cuando gobernaba aquel otro faro montado sobre recias piedras con luz blanca a destello cada doce segundos y radiofaro circular con un alcance de trescientas ochenta millas, alumbrando memorables catástrofes y las fantasmales islas de Torres que, en la distancia, simulan una verdadera ciudad.”

Al cerrar este libro me queda una pregunta sin respuesta. ¿Qué esperanza de obras maestras sesgó la siniestra guadaña de la dictadura al quitarle la vida al hombre Haroldo Conti?
Haroldo Conti, un escritor que nos contó sus aldeas para así contarnos el mundo.

Sa voix (celle de Haroldo Conti) dit de mots très beaux, quand il se met à raconter, la mémoire  court avec tant d’innocence et de liberté, que l’on se sent capable de passer outre pour toujours, le jour de la mort.” Eduardo Galeano

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Ces temps de quarantaine, de confinement, strict dans mon cas en raison de mon âge et de la faiblesse de mes poumons, sont des temps de relecture, ce plaisir si particulier de renaviguer des eaux qui même en les connaissant, ne cessent de nous réserver de nouvelles surprises et de nouveaux éblouissements.
Je relis aujourd’hui La balada del álamo carolina (La ballade du peuplier de Caroline) de Haroldo Conti, grand écrivain argentin assassiné par la sanglante dictature militaire en mai 1976.
Conti fut assassiné car humaniste. Pour les régimes autoritaires et réactionnaires, les humanistes semblent beaucoup plus dangereux que les violents.
Je découvris cet auteur vers la fin des années 60 quand je lus son roman  Alrededor de la jaula (Autour de la cage). La poésie de ce roman d’initiation, une poésie avec les pieds bien plantés dans la boue, m’émut durablement.

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Aujourd’hui j’ai entre mes mains l’édition du journal Página12, des années 90, de La balada del álamo carolina, parue à l’origine en 1975.
Conti revient ici au paysage de son enfance et de son adolescence, Chacabuco, dans la province de Buenos Aires.
L’écriture régionaliste mais à portée universelle, s’apparente à celles de Roberto Arlt et d’ Horacio Quiroga. Certains personnages, comme M Pelice, amoureux et timide, et Mlle Haydée pourraient être ceux d’un conte de Maupassant. Eme

Le conte qui donne son titre au recueil, un bel exemple de l’art d’Haroldo Conti, nous montre le paysage, et même la vie, dans ce coin agreste de la province depuis la perspective de l’arbre, totem protecteur d’une manière de vivre.

“On pense que les journées d’un arbre sont toutes pareilles. Surtout s’il s’agit d’un vieil arbre. Non. Une journée d’un vieil arbre est une journée du monde.
Ce peuplier de Caroline naquit ici même, exactement,  bien que le peuplier De Caroline, à ce que l’on sait, vient par souche et celui-ci poussa tout seul, il se pointa un jour sur cette terre parmi les herbes dures qui la couvrent comme une toison, une autre herbette, une misérable herbette exposée aux vents et au soleil et aux bêtes.  
Et lui, il crut, pendant un certain temps, qu’il n’allait devenir que ceci jusqu’au jour  où il se rendit compte qu’il dépassait l’herbe et quand le soleil vint plus fort et tiédit la terre, il se gonfla en dedans et se raidit et sentait une grande attirance envers les hauteurs, , un désir de grimper en direction du ciel, il comprit même qu’il y avait en lui un chemin, bien qu’il ne sût as encore ce que c’était, il ne le sut que l’année suivante quand les herbes étaient encore plus en bas et derrière les herbes il vit  un grillage et derrière le grillage, il vit un chemin, qui est une espèce d’arbre couché sur la terre avec une branche ici et une branche là, aussi sèches et rugueuses  en hiver et dont les pointes fleurissent en été, car elles aboutissent toutes en une petite mèche de vrais arbres. (…)
Ce fut cet été, quand le soleil était bien haut et l’ombre était plus noire, que l’homme s’approcha enfin de l’arbre. Il le vit venir à travers champs, noir et précis sur le cheval trempé de sueur. L’homme descendit du cheval et pénétra dans l’ombre. Il ôta son chapeau couvert de terre, après regarder vers le haut et aspirer le frais qui tombait des branches, et sécha la sueur de son front avec la manche de sa chemise.    
Puis l’homme, qui semblait aussi vieux que le vieux peuplier de Caroline, s’assit au pied de l’arbre et s’appuya contre le tronc. Peu après l’homme s’endormit et rêva qu’il était un arbre.”

Une manière de vivre à laquelle retourne brièvement Pedro dans Mi madre andaba en la luz (Ma mère allait dans la lumière). Une manière de vivre symbolisée par la table en bois brûlée par les cigares du père, décédé à présent, la cuisinière Carelli où la mère prépare une poule au pot, le bal au Club Sportif et Récréatif, pour rentrer quelques jours plus tard au bidonville de Buenos Aires où il habite et à l’usine où il travaille.

Il traversa le bidonville saluant d’un côté et de l’autre, la valise à la main et le paquet de la vieille sous le bras. Correa, le boiteux, réparait le toit de la cabane tandis que la vieille, dedans, criait comme une folle, c’était sa façon de parler. On entendait plusieurs radios à la fois et, par dessus tout, la voix de fromage de Carlitos «Pueblo» Rolan qui chantait ce chiquichá Ahí viene la ambulancia (Voilà l’ambulance).
«Cascote» se mit à aboyer à peine il tourna au coin. Il lui enleva sa chaîne et il failli le renverser de joie. Il lui fila un coup de pied sans intention et salua Beba qui avait sorti la tête pleine de bigoudis par la fenêtre d’à côté.
Il plia soigneusement les vêtements et la mit dans le carton qu’il avait comme armoire. Puis il mit son bleu et avant de sortir, il compta les billets flétris et gras qui lui restaient. Ça devait lui suffire toute la quinzaine.  Bon, au moins, il était à jour avec le crédit et ce week-end zéro fête. Il pouvait peut-être trouver un petit boulot.
Il retraversa la voie et grimpa le terreplein. Il se pressa, sans exagérer, pour rejoindre les camarades. Ils étaient tous là, Aldo, Beto et Rulo (le Frisé), qui criaient et riaient dans la direction de la masse obscure de la Papèterie.”

Tranquillement, sans plaintes ni protestations. Ce qui donne une forcé d’autant plus grande au portrait de l’injustice sociale.

Ce ton mélancolique, non dépourvu  d’humour, devient, dans Devoción (Dévotion) et Bibliográficas (Bibliographiques), un humour dur y salvateur  pour les protagonistes, un ouvrier qui fabrique des cages, enfermé dans une vie de couple difficile à supporter, et un écrivain débutant grugé par un soi-disant éditeur. Un humour presque impressionniste qui évite à ces hommes de sombrer dans l’enfer.

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D’autres paysages, aussi aimés  par Conti, apparaissent dans les derniers textes, fluviaux et marins, argentins et uruguayens. Il s’agit plutôt d’exercices de mémoire que de contes.

Je remarche les rues vides et faisant un détour je passe, dans cet ordre, devant la maison de doña Miquina, qui doit s’approcher du centenaire, selon elle, grâce au verre d’eau de mer qu’elle boit tous les matins et que j’ai bu  moi aussi avec le bruyant résultat d’une chiasse qui a failli me tuer avant quarante ans, devant chez les Legido, des trotteurs de distances gigantesques, mes amis chéris, Juanea et Poppy qui un jour de soleil, m’a accompagné jusqu’au Cap Polonio avec une robe longue et un sac au petit point rien que pour constater la phrase et la signature imprimées par son père quand il gouvernait cet autre phare monté sur de rudes pierres avec sa lumière blanche qui étincelait toutes les douze secondes et un radiophare circulaire d’une portée de trois cent quatre-vingt milles, qui a éclairé de mémorables catastrophes et les fantomatiques îles de Torres qui, à la distance, ressemblent à une vraie ville.”

En fermant ce livre, il me reste une question sans réponse. Quelle espérance de chefs-d’œuvre brisa la sournoise faux de la dictature quand elle détruisit la vie de l’homme  Haroldo Conti ?
Haroldo Conti, un écrivain qui nous raconta ses villages pour ainsi nous raconter le monde.

OPERA – Casser les moules – Romper los moldes

En ce qui concerne l’art lyrique, l’opposition entre les lectures traditionnelles et d’autres moins respectueuses du passé, n’a rien de nouveau.
Je viens de visionner deux productions des Opéras de Paris qui sont deux exemples éblouissants de relectures de chef-d ‘œuvres absolument  classiques : La Traviata, de Giuseppe Verdi et Les Indes Galantes de Jean-Philippe Rameau.

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La Traviata, dans la mise en scène de Simon Stone, est transposée dans notre XXIe siècle. La courtisane Violetta devient une influenceuse. Une métaphore on ne peut plus juste. Les influenceuses, ainsi que les influenceurs, qui font les choux gras des réseaux sociaux le temps de leur quart d’heure de renommée, ne sont-elles pas les prostituées d’un capitalisme devenu fou ?
Cette singulière Violetta est incarnée par la jeune, et très belle, soprano sud-africaine Pretty Yende. Une Violetta aussi sensuelle que fragile, dont la voix somptueuse s’adapte merveilleusement aux différentes émotions que traverse son personnage tout au long des trois actes de Traviata.
À ses côtés, en parfaite connexion avec elle, Benjamin Bernheim, un Alfredo vibrant de séduction à la voix superbe.

https://www.youtube.com/watch?v=s1StdAtZyx0

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Les décors de Bob Cousins suivent de près le monde en folie crée par Stone. Nous passons d’une discothèque, et même ses poubelles à un kébab, à une ferme avec une vraie vache, au deuxième acte. Or, ce sont surtout les murs-écrans où se projettent les photos instagram, les messages des followers de la protagoniste qui nous placent au cœur de son univers.

https://www.youtube.com/watch?v=ir8I-1IZLH8

N’ayant pu apprécier que quelques scènes de cette version si contemporaine  de Traviata, j’attends avec impatience de la trouver en entier sur les réseaux sociaux.

Complètement à l’opposé, et j’ouvre ici une parenthèse, celle que les journalistes nomment la Traviata de Valentino, le célèbre couturier italien ayant vêtu la protagoniste de robes qui, à mon avis, n’ont rien d’ahurissant, et sûrement investi beaucoup d’argent dans la production. La mise en scène, d’une platitude même pas digne d’un petit théâtre de province, est signée Sofia Coppola. Que dire des interprètes, Francesca Dotto et Antonio Poli ?  Qu’ils sont aussi plats que la mise en scène, aucune émotion vraie ne transparaît dans leur jeu.

https://www.youtube.com/watch?v=2tFes-W4PB0

Loin de moi l’idée de prôner ici une modernisation tout azimut des classiques.

Or, une remise à jour pourrait éventuellement séduire un public que l’opéra rebute en règles générales. Voici à quoi je pensais devant Les Indes  Galantes, de Jean-Philippe Rameau, mise en scène par Clément Cogitore, avec une chorégraphie de Bintou Dembélé. C’est l’actualité que vise cette mise en scène, l’univers des cités ainsi que celui des réfugiés.
J’ai lu plusieurs critiques négatives de ce spectacle. Même si mon opinion n’est que celle d’un spectateur, spectateur avisé peut-être, mais spectateur quand même, ces Indes Galantes mon semblé éblouissantes, et m’ont ému très souvent.

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Dès le début, le ton est donné. , Hébé,  une Sabine Devielhe sublime coiffée à la Bernadette Chirac, organise un défilé de mode, interrompu par les CRS.
Deux scènes m’ont particulièrement ému, Le Turc  généreux, où le navire de Valère, un excellent Mathias Vidal, devient un rafiot de migrants enveloppés dans leurs haillons de fortune.

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Et puis, bien évidemment, l’apothéose finale dans laquelle les Sauvages sont devenus des jeunes des cités, y compris Adario, Florian Sempey et Zima, Sabine Devielhe, qui se mettent au hip hop comme tout un chacun, tandis que Damon, Stanislas de Barbeyrac, et Alvar, Alexandre Duhamel, et leurs troupes colonisatrices ont pris l’uniforme de la police anti émeutes.
C’est surtout dans cette dernière « entrée » que le magistral détournement opéré par Clément Cogitore et Bintou Dembélé sur l’opéra-ballet de Rameau apparaît le mieux. D’une pièce célébrant la colonisation des « Indes sauvages », ils ont créé un spectacle où les descendants des colonisés prennent, dans un certain sens, leur revanche.

À remarquer aussi, le magnifique support musical offert par la Cappella Mediterranea, sous la baguette de l’argentin Leonardo García Alarcón.

https://www.youtube.com/watch?v=TfQJZ76WR0U

En lo que concierne al arte lírico, la oposición entre las lecturas tradicionales y otras menos respetuosas del pasado, no es nada nuevo.
Acabo de ver dos producciones de las Óperas de París que son dos ejemplos brillantes de obras maestras absolutamente clásicas: La Traviata,  de Giuseppe Verdi y Las Indias Galantes de Jean-Philippe Rameau.

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La Traviata, con una puesta en escena de Simon Stone, se transpone a nuestro  silo XXI. La cortesana Violetta se vuelve una influenciadora. Una metáfora muy justa. Las influenciadoras, así como los influenciadores, que enriquecen a las redes sociales durante su cuarto de hora de fama, ¿no son acaso las prostitutas de un capitalismo vuelto loco?
Esta singular  Violetta es encarnada por la joven, y muy bella, soprano sudafricana Pretty Yende. Una Violetta tan sensual como frágil, cuya voz suntuosa se adapta maravillosamente a las diferentes emociones que atraviesa su personaje a lo largo de los tres actos de Traviata.
A su lado, con una conexión perfecta, Benjamin Bernheim, un Alfredo vibrante de seducción con una voz soberbia.

https://www.youtube.com/watch?v=s1StdAtZyx0

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La escenografía de Bob Cousins sigue de cerca el mundo enloquecido creado por Stone. Pasamos de una discoteca , y aún a sus tachos de basura, a un kebab, a una granja con una verdadera vaca en el segundo acto. Sin embargo son sobre todo las paredes pantalla donde se proyectan las fotos instagram, los mensajes de los seguidores de la protagonista los que nos ubican en el corazón de su universo.  ,
https://www.youtube.com/watch?v=ir8I-1IZLH8

Habiendo sólo podido apreciar algunas escenas de esta versión tan contemporánea de Traviata, espero con impaciencia encontrarla completa en las redes sociales.

Completamente opuesta, y abro un paréntesis, la que los periodistas llaman la Traviata de Valentino, el célebre modisto italiano vistió a la protagonista con vestidos que, a mi entender, no tienen nada de asombroso e invirtió seguramente mucho dinero en la producción.  La puesta en escena, de una chatura ni siquiera digna de un pequeño teatro provinciano, está firmada por Sofía Coppola. ¿Qué decir de los intérpretes, , Francesca Dotto y Antonio Poli?  Que son tan chatos como la puesta en escena, ninguna emoción verdadera trasparece en su juego.

https://www.youtube.com/watch?v=2tFes-W4PB0

Lejos de mí la idea de pedir una modernización absoluta de los clásicos.

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Una puesta al día, empero, podría eventualmente seducir a un público que rechaza la ópera en reglas generales. Esto es lo que pensaba ante Las Indias Galantes, de Jean-Philippe Rameau, puesta en escena por Clément Cogitore, con una coreografía de Bintou Dembélé. Esta puesta en escena apunta a la actualidad, al universo de los barrios carenciados así como al de los refugiados.
Leí varias críticas negativas de este espectáculo. Aún si mi opinión es sólo la de un espectador,  un espectador advertido quizás pero sólo un espectador, estas Indias  Galantes me parecieron deslumbrantes y muy a menudo, me emocionaron.
El tono está dado desde el comienzo. Hebe, una Sabine Devielhe sublime, peinada como  Bernadette Chirac, organiza un desfile de modas, interrumpido por la policía anti disturbios.
Dos escenas me conmovieron particularmente, El turco generoso, en la que el navío de Valère, un excelente Mathias Vidal,  se transforma en un barquichuelo de migrantes envueltos en sus harapos de fortuna.

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Y luego, evidentemente, la apoteosis final en la quue los Salvajes que se han vuelto jóvenes de los barrios carenciados, aún Adario,  Florian Sempey y Zima, Sabine Devielhe, que se ponen a bailar hip hop como todos, mientras que Damon, Stanislas de Barbeyrac, y Alvar, Alexandre Duhamel, y sus tropas colonizadoras tomaron el uniforme de la policía anti disturbios.
El magistral cambio operado por Clément Cogitore y Bintou Dembélé en la ópera ballet de Rameau se ve sobre todo en esta última « entrée ». De una obra que celebraba la colonización de las « Indias salvajes », han creado un espectáculo en que los descendientes de los colonizados se toman, en un cierto sentido, la revancha.

Notable también el magnífico soporte musical dado por  la Cappella Mediterranea, bajo la batuta del argentino Leonardo García Alarcón.

https://www.youtube.com/watch?v=TfQJZ76WR0U